Le dragon d’or c’est un petit conte décalé de Roland Schimmelpfennig – dramaturge allemand contemporain – une allégorie engagée à l’humour cynique, aux personnages un peu barrés. Mis en scène par Sofia Betz, le résultat est très tonique, ponctué par un décor vivant fait de marches d’escalier, de trappes, portes, niches et espaces multiples qui s’ouvrent et se ferment, se montent et se descendent.
Cinq petits chinois sans-papiers dans la cuisine minuscule d’un restaurant, l’un deux a terriblement mal aux dents...mais ne peut pas se payer le dentiste. C’est comme cela que ça commence. Dans l’immeuble vivent une foule d’autres personnes, illustrant à leur façon les incohérences d’une société consumériste en crise. Les histoires s’enchevêtrent, les comédiens se travestissent, incarnant tour à tour ce que physiquement ils ne sont pas : les hommes deviennent femmes, les femmes jouent les hommes, les vieux les jeunes, les occidentaux des asiatiques.
On plonge dans une histoire un peu loufoque, qui prend par moments une tournure presque fantastique assez délicieuse. Sur un ton brechtien, entrecoupés par la présentation des ingrédients des différents plats du restaurant, les acteurs jouent et se meuvent dans l’espace avec une pêche qui réjouit. Un rythme cadencé par un soin accru du détail et des enchaînements en font un spectacle très efficace. Un peu trop peut-être.
Car c’est peut-être cette efficacité que l’on peut justement reprocher à la pièce, qui choisit délibérément de ne laisser aucune place à l’émotion sincère. Le choix est défendable, mais lorsque l’on s’attache à s’inscrire dans un débat de société, le risque de sonner superficiel est palpable. Et là, ça coince. On a alors vite fait – même si dans l’ensemble on reste dans un registre bon enfant – de verser par moments dans un "trash" un peu inutile pour rendre le tout plus percutant.
Et revient au galop la question si sensible du théâtre politique, et de ses risques. Un équilibre fragile où humour ne doit pas faire oublier l’authenticité, sans tomber dans un misérabilisme démonstratif, ni une dénonciation naïve.
Un beau challenge, que le dragon d’or relève au final assez bien, nous emmenant au cœur de questions essentielles par la voie détournée du rire et du divertissement sans être gnangnan pour un sou. Quelle place reste-t-il au rêve et au plaisir dans un quotidien de survie, quelle est celle de la joie dans une vie confortable où tout est formaté ?
Que l’on accroche ou non à la forme, ne soyons pas tatillon, Sophie Betz et son équipe de joyeux comédiens nous emmènent dans un monde où, pendant que "l’avoir" remporte la victoire sur "l’être", nous, on ne s’ennuie pas, et on repart le regard éveillé sur des quotidiens que l’on longe sans jamais les croiser.
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