D’un coup de pied rageur, la jeune fille blonde envoie promener le poste de radio. Cette musique braillarde agace le vieux juif, qui habite Sophie. En 1940, Joseph Rosenblath a visité la Pologne en train. "Malheureusement, il n’y avait pas de fenêtres. Aujourd’hui, les jeunes font Erasmus, nous c’était Auschwitz." Humour noir d’un homme de 77 ans, qui se détache de la vie et trouve amusants les efforts de son médecin, pour masquer la date de péremption. Son identité le préoccupe. Que fait-il dans cette famille de cathos, jouant au golf à Knokke-le-Zoute ? Un père qu’il appelle papa depuis vingt ans, parce qu’il ne se souvient plus de son prénom. Une mère qui lui fait manger du porc et qui voudrait tant discuter avec sa grande fille. On a diagnostiqué le syndrome dont souffre Sophie : une forme d’hystérie schizoïde. Mais les consultations du psychiatre, comme les séjours en hôpital, s’avèrent inutiles. Dépassés, les parents se prennent dans les bras et se disent : "Elle s’en sortira."
Sophie a des violons dans la tête et dans le coeur. Ils semblent la narguer en jouant faux et fort. Dans les méandres de son esprit confus, des souvenirs refont surface : son amour pour Julien et le drame de sa petite soeur Mathilde, morte dans un accident. Le jour du kippour, elle tient à respecter le jeûne, signe de maîtrise de soi. Sa mère la supplie : "Ne sois pas juif, juste ce soir, ne sois pas ce vieux juif. Tes grands-parents sont là." Au lieu de lui obéir, Sophie profite de cette réunion, pour provoquer un scandale... Bouleversement des rapports familiaux.
A travers ce dédoublement de la personnalité, l’auteure jette des ponts entre hier et aujourd’hui. Sophie a couvert tous les miroirs, dans lesquels elle pourrait se voir. Elle ne trouve plus sa place dans sa vie. Comment exister auprès de parents traumatisés par la perte de Mathilde ? Elle se sent coupable d’avoir survécu à sa soeur. Sentiment partagé par Joseph Rosenblath, rescapé de la Shoah. Pourquoi est-il encore en vie, alors que sa famille, ses amis ont été exterminés dans les camps ? La recherche d’identité rejoint le devoir de mémoire.
Ce monologue nous tient constamment en haleine, grâce à la qualité de son écriture et à la maîtrise de son interprète. Amanda Sthers s’appuie subtilement sur une situation surréaliste pour nous entraîner vers des réflexions psychanalytiques. En laissant des zones d’ombre, qui ouvrent la porte à des compréhensions diverses. La jeune blonde et le vieux juif partagent un humour dévastateur, qui allège et pimente le texte. Découpant "Rosenblath" en "rose" et "blatte", Sophie estime que "cafard rose" est un surnom qui lui convient. Par la précision de sa mise en scène, Mikaël Sladden rend le spectacle fluide et aide Frédérique Massinon à exploiter les ruptures. La comédienne adopte toujours le ton juste. Caricatural pour singer la mère superficielle ou la grand-mère déphasée. Beaucoup plus sobre, pour faire vivre les personnages attachants, qui cohabitent en elle.
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