En s’engageant au service de Phileas Fogg, gentleman britannique à la vie réglée comme du papier à musique, Jean Passepartout croyait couler des jours tranquilles à Londres. Et le voilà obligé de jouer les poissons-pilotes
dans une folle cavalcade ! Son maître, pourtant allergique à l’imprévu, s’est lancé un défi et a parié 20.000 livres avec ses collègues du Réform-Club qu’il ferait le tour du monde en 80 jours.
Obsédé d’exactitude, Fogg a un esprit scientifique. Cependant, comme son nom le suggère ( si l’on néglige un des deux "g"), il vit dans le brouillard. Les gens qu’il rencontre, les contrées qu’il traverse ne l’intéressent pas. Et il reste longtemps insensible à l’amour évident de la princesse Aouda. Seul compte le but à atteindre. A l’opposé, Passepartout, serviteur naïf mais loyal, débrouillard et généreux vit pleinement ce voyage pimenté par ses déboires et ses initiatives.
Pour passer du paquebot au train, du dos d’éléphant à la montgolfière, Ronald Beurms a conçu un dispositif scénique, à la fois beau et efficace. Surmonté d’une espèce de mappemonde, un vaste cylindre à portes coulissantes permet d’enchaîner les séquences sur un rythme soutenu. En assistant au sauvetage d’une princesse indienne ou à l’attaque du train par les Sioux, le spectateur, stimulé par l’ingéniosité de cette scénographie, laisse parler son imaginaire.
Il est entraîné aussi dans des scènes burlesques par l’aisance avec laquelle
Pierre Poucet, Gérald Wauthia et Xavier Percy font vivre une trentaine de personnages. S’inspirant des Monty Python ou de Mack Sennett, ils manifestent un plaisir de jouer communicatif. Face à ces caméléons, quatre comédiens incarnent les protagonistes. Dans le même esprit. Le contraste entre Fogg et Passepartout est souligné par le flegme imperturbable d’Alain Leempoel et la vivacité d’Othmane Moumen, d’une souplesse extraordinaire. Jasmina Douieb campe une princesse énergique, tenace, qui par son amour dégèle le glaçon britannique. Dans la peau de l’inspecteur Fix, un flic aux trousses de Phileas Fogg, Stéphane Fenocchi fait une composition savoureuse : le "méchant" qui enrage devant ses échecs à répétition en s’écriant : "Je l’aurai !" Comme dans la pub matraquée par la télé.
Des clins d’oeil de ce genre, Thierry Janssen les multiplie. Son adaptation espiègle dépoussière le roman de Verne, en misant sur le deuxième degré. L’accent bruxellois de Neckerman, l’ombre du balcon de Cyrano, la capture d’un "nuage de lait" nous entraînent dans un univers plein de fantaisie. Guettant les anachronismes, l’implication des spectateurs, les allusions musicales, les ruptures dans la narration, nous négligeons la course contre la montre, pour participer au jeu théâtral. Jules Verne saluait la prouesse de Phileas Fogg. Cette version malicieuse la relativise et débouche sur une chanson qui questionne notre obsession de vitesse. Et révèle notre difficulté à goûter les plaisirs quotidiens...
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