Le métissage littéraire et musical de la « Kindertragödie » se transforme en même temps, en un manifeste moderne, qui dénonce les maltraitances rampantes que peuvent parfois infliger des parents en mal de communication avec leurs enfants. Les raisons abondent : dans une société brutale, formatée et imperméable aux sentiments, sont-ils victimes de leur époque ? Eux-mêmes, sont-ils trop jeunes pour assumer ou répètent-ils des comportements qui ont traversé plusieurs générations sans remise en question ? Sont-ils frustrés par des peurs et des souffrances indicibles ? Enivrés de pouvoir parental ?
Bloqués pour mille et une autres raisons honorables - ils en ont sans doute de très bonnes - comme de ne jamais avoir lu Françoise Dolto, et se trouvent dans l’impossibilité chronique de gérer les premiers émois amoureux de leur progéniture, ou même, de leur expliquer sereinement et ouvertement « les choses de la vie ». Mais l’époque de l’Allemagne de Bismarck est-elle pour autant révolue ?
Par souci de multiplicité esthétique, le travail de création de Dominique Serron associe un troisième volet. Il a été élaboré au sein de diverses écoles bruxelloises, par de jeunes adolescents et adolescentes. Ce sont des capsules vidéo de lyrisme muet, réalisées in situ ou dans les environs immédiats de l’école …y compris le cimetière d’Uccle. Il suffit d’observer : chaque mouvement des personnages filmés colle impeccablement au tempo de la musique ! C’est prodigieux. Les jeunes, confrontés au texte et à la musique sont devenus acteurs, au propre et au figuré, au lieu d’être de simples récepteurs. Bel objectif éducatif s’il en est ! Ils se sont mis à rêver l’action, ils ont réagi avec authenticité et dansé leur ressenti aigu et spontané face au suicide, face à la violence parentale, à la pression scolaire, à la castration du désir, à une société blessante et inhumaine. Leurs regards, leurs visages, et leurs postures sont bouillants d’interrogation et aussi d’accusation silencieuse. Chacun d’eux porte les marques de l’intensité vibrante de leur implication dans le projet. Ces séquences filmées rythment le spectacle comme une respiration inédite entre chaque scène. Les chorégraphies émouvantes, nées à la croisée de la théâtralité et de la musique, ont l’avantage de pouvoir faire apprécier la contemporanéité du propos. L’ensemble devient un tout admirablement monté, fruit d’un travail de création original et audacieux, dans le droit fil de ceux auxquels nous a habitués la pétulante et infatigable metteuse en scène pour qui, le travail corporel des comédiens se doit d’être toujours avant-coureur du verbe, ce qui donne un relief extraordinaire au propos...
A chaque spectateur de relever des détails poignants qui le touchent personnellement… La liste sera longue. Juste quelques exemples… Le bruit des parapluies refermés avec brutalité sue le bord de la tombe, une fois les « formalités accomplies »… Ce décor unique et polyvalent, mais essentiel : un immense comptoir bourré de tiroirs. Ceux d’une morgue ? Ceux de notre société cloisonnée faite de trappes et de placards ? Posés sur un immense buffet de cuisine, de furtifs souvenirs de Dead Poets Society ou ceux de James Dean (A Rebel Without a Cause) ? Cette idée effrayante que le jeune Moritz s’est tué « par amour pour ses parents » ? Ce geste désespéré de mère impuissante qui donne sa médaille à son fils à défaut de pouvoir le défendre contre un père tyrannique… Ces chaussures abandonnées que l’on ramasse, l’air de rien. L’ignoble phrase entendue : « Cet enfant n’était pas de moi ! » Cette citation glaçante d’Othello : « As-tu fait ta prière, Desdémone ? »
Ce sac d’où émergent des aiguilles à tricoter, qui font froid dans le dos ! …Et surtout le talent fou et l’énergie débordante de toute la production !
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