Mardi 30 décembre 2008, par Xavier Campion

Le Coq combattant ou l’atrabilaire amoureux

Parmi la quarantaine de pièces écrites par Anouilh, Le coq combattant (parue en 1956 sous le titre L’Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux) appartient à la catégorie de celles qui dénoncent l’absurdité de l’existence, dont les valeurs sont sans cesse violées par l’homme, véritable loup pour lui-même.
L’intrigue prend place dans un milieu bourgeois, véhiculé par son habituel cortège d’hypocrites bienséances, qui peinent à cacher les bassesses et lâchetés des hommes. Mêlant rire et amertume, le ton est grinçant, les dialogues rapides, contrastés. Le style et l’esprit de Molière ne sont pas loin.

Le Général retraité trouve que la France se porte mal et décide de conspirer contre le régime. « Luttons contre le ver » est le seul mot d’ordre de son programme contre la corruption. Un peu court me direz-vous pour s’attaquer à la grande Histoire, d’autant plus que les histoires de famille ne manquent pas dans celle du Général, trop occupé à s’écouter parler, s’enlisant dans des discours électoraux pour rallier ses amis à sa cause.
Happé par un va-et-vient familial à rebondissements, le Général, ridicule et pathétique, va de surprises en surprises. Ses rêves de complot, ses idéaux d’honneur en prennent un sérieux coup, l’abandonnant à sa perdition, déstabilisé.

En effet, Aglaé, sa seconde femme, lui avoue qu’un homme sensible lui a caressé la main, pendant que son « général de mari » racontait ses hauts faits de guerre de 1940. Promise au charmeur David-Edward, sa fille Sophie, lolita provinciale, apprend par la presse qu’il se fiancera avec une autre jeune femme. Sa sœur Tante Bise réclame vengeance car des hommes lui ont effleuré la taille. Sa plus jeune fille court après le fils du laitier, tandis que les intimes s’avèrent de bien médiocres militants…

La palette d’âges variables des 14 rôles joués offre ici l’occasion au metteur en scène et au public de rencontrer plusieurs générations de comédiens en herbe ou chevronnés, certains à la force de l’âge, d’autres bientôt à la retraite. Armand Delcampe campe un général bourru, bougon et passéiste à souhait. Isabelle Roelandt se glisse joliment dans la peau d’Aglaé, femme délicate, mesurée, vivant dans la sincérité et le présent. Telle un insupportable portrait de mode avant-gardiste, Patrick Ridremont donne l’énergie dont il connaît les ficelles à l’arrogant pantin snob, David-Edward. A l’instar de l’église au milieu du village, le curé incarné avec une horlogère précision de jeu par Olivier Leborgne apporte une présence tendre, rassurante, pince-sans-rire, et pleine de lucidité dans cette famille étourdie.

Allez voir comment ce coq, qui a du plomb dans l’aile, part dans un combat perdu d’avance, dans lequel il perd des plumes, tout chargé d’armes défaillantes qu’il est, et cumulant de surcroît les erreurs stratégiques : tirs à blanc, soldats de pacotille, insuffisance de munitions n’en sont que quelques exemples.
Habité par un complot patriotique, rongé par le doute affectif, l’homme en uniforme croyait tellement faire régner l’ordre à tous les horizons, qu’il en a perdu de vue que la première patrie est d’abord sa « propre famille », celle du cœur et du devoir. Soucieux d’éliminer la crasse et la pourriture pour rendre le « monde propre », cet homme qui entame un grand nettoyage mélange les torchons et les serviettes sans prendre garde de commencer par nettoyer devant sa porte. Famille et politique ne font pas bon ménage.

Bon entendeur, le spectateur reçoit assurément matière à réflexion pour ses actions.

Céline Verlant