Ali Aarrass est né le 4 mars 1962 à Melilla, petite enclave espagnole située au nord du Maroc. C’est le premier enfant du deuxième mariage de Mustafa Aarrass avec Toucha. Le couple a deux enfants Ali donc, et Farida. Ce mariage ne dura que cinq ans. Le divorce fut prononcé alors qu’Ali n’avait que quatre ans et Farida deux. Comme le père d’Ali, Toucha se remaria et une autre fille, Malika.
Les trois enfants sont nés et ont d’abord grandi à Melilla où ils reçoivent une éducation catholique en espagnol. Ali est arrivé en Belgique en 1977, à l’âge de 15 ans. Il suit des cours de langue française mais abandonne rapidement sa scolarité pour aller travailler afin d’aider sa mère. A 24 ans, il se marie avec Houria El Ouazguari et acquière la nationalité belge trois plus tard, en 1989. A ce titre, il effectue son service militaire. Ali découvre la religion islamique peu avant le mariage, mais il ne se met à la pratiquer que plus tard.En 2005, il retourne vivre à Melilla auprès de sa famille. Il y ouvre une cafeteria, qui servait des petits déjeuners, des pâtisseries, des sandwichs, etc.
Il n’a jamais eu d’ennuis avec la police et la justice en Belgique. Ali Aarrass est soupçonné d’être un djihadiste. Il est arrêté en 2006 et 2008, la seconde fois il est emprisonné mais le juge Baltazar Garzon prononce un non-lieu en 2009. En dépit de cette décision de justice, il est extradé vers le Maroc fin 2010. Il y est enfermé et torturé. Il finira par signer des aveux sur un document rédigé en arabe, une langue qu’il ne parle pas. Né à Melilla sans être espagnol, accusé de terrorisme par le Maroc où il n’a jamais vécu, Ali a été condamné en 2011 à 12 ans de prison ferme.
Le malheur d’Ali vient notamment de son statut de binational, excuse par excellence pour un pays pour ne pas intervenir, comme l’a fait la Belgique. Ce Belge entre guillemets n’a en effet pas fait l’objet de beaucoup de considération de la part du pays où il a vécu durant 28 ans, et les interpellations du ministre des Affaires Étrangères, Didier Reynders n’y ont rien changé. Il existe apparemment dans notre plat pays deux types de citoyens, les uns bénéficiant d’une citoyenneté pleine et les autres, immigrées et binationaux, relégués au rang des citoyens de seconde zone.
La sœur d’Ali, Farida Aarrass, n’a jamais cessé sa lutte pour réclamer la libération de son frère. Entourée d’un chœur de femmes, elle lui donne un autre contour pour espérer enfin se faire entendre, le chœur devient celui qui fut privé de sa voix. Une vingtaine de militantes, comédiennes, chanteuses professionnelles et amatrices se mobilisent et occupent la scène pour porter cette voix et tenter d’échapper à la tragédie.
Le spectacle documentaire remonte à la génération du grand père d’Ali pour expliquer la colonisation, la Conférence de Berlin en 1895 qui a partagé l’Afrique entre les grandes puissances (occidentales) alors que dans le même temps des pays se partageaient l’Europe de l’Est ou l’Amérique Latine. « Les enfants de colonisés ne connaissent ni leur lieu de naissance, ni leur date d’anniversaire. » Mais aussi le sang dans lequel a baigné toute l’histoire, de 1492 à aujourd’hui en passant par la République du Rif marocain.
La mise en scène de Julie Jaroszewski est à la fois épurée et très riche. Les chants, en espagnol, sont impressionnants, menés de main de maître par Farida Aarrass qui semble exceller dans ce domaine. Au-delà du spectacle à proprement parler, « Le Chœur d’Ali Aarrass » fait office de porte-voix d’une cause, de l’histoire de la colonisation, et des situation qu’elle engendrées, mais, d’abord et avant tout, c’est la représentation d’un acte politique de ré-appropriation d’une histoire.
Didier Béclard
« Le Chœur d’Ali Aarrass » jusqu’au 27 avril au Théâtre National, 02/203.53.03, www.theatrenational.be.
1 Message