Samedi matin, début du congé. Hommes et femmes n’en profiteront pas de la même façon. Le torchon brûle entre Irène et Mike. Elle bosse toute la semaine, mais son fainéant de mari l’oblige à se lever, pour acheter le pain. Allergique au travail, il ne quittera son lit que pour aller se soûler. Mary, l’Irlandaise et Vinnie, un macho italien, forment un couple explosif. Ils s’engueulent pour des queues de cerise, comme la longueur des cheveux de leur fils. Frimeur qui passe sa vie à se pomponner, Abraham néglige sa famille. Nancy, sa femme, doit combattre son avarice, pour soigner ses enfants, victimes de malnutrition. Louis espère devenir réparateur de télévision. Pour protéger ses études, sa femme, Lucy, se charge du ménage et des enfants. Une tâche rendue pénible par son obsession de la propreté et son besoin de calme. Les bêtises de ses garnements turbulents la font sortir de ses gonds. Depuis la mort de son mari, Ada, qui avait déjà perdu un fils à la guerre, est malade de solitude. Elle ne retrouve une certaine sérénité qu’en s’émerveillant devant un soleil printanier ou en réchauffant les souvenirs d’une famille heureuse.
La violence physique ou morale, qui gangrène les couples, surgit également dans les scènes d’extérieur. Une cliente noire et une cliente blanche se chamaillent dans une laverie, en se lançant des injures racistes. Des femmes observent cyniquement un bébé accroché au rebord d’une fenêtre, en souhaitant que "l’oiseau s’envole". Des enfants mettent le feu aux boîtes aux lettres. Des gangs portoricains et noirs s’affrontent jusqu’à la mort.
Hubert Selby jr montre "les horreurs d’une vie sans amour". Il ne juge pas ses personnages. Isabelle Pousseur nous invite, elle aussi, à les voir comme ils sont, en nous tenant à distance par sa mise en scène ample, fluide et polyphonique. Titres et indications balisent ce spectacle, qui nous surprend par l’extraordinaire diversité des séquences. Le mélange des phrases narratives au passé simple avec des dialogues réalistes, grotesques ou poétiques, la joie de vivre qui se dégage des musiques et danses des années 70, les interventions fréquentes du choeur stimulent notre curiosité. Chacun des dix comédiens incarne un personnage principal, mais change plusieurs fois d’apparence, pour en faire vivre d’autres ou participer au choeur. En jouant les caméléons, ils allègent l’atmosphère et envoient des pulsions de vie. Grâce à des volumes modulables qui glissent sur une surface lisse, le scénographe Didier Payen nous fait passer en souplesse de l’hémicycle des foyers aux espaces publics. A travers cet enchevêtrement de tons, de visions, d’ambiances, on constate que ces hommes et ces femmes logés à la même enseigne, réagissent différemment. Mais tous refusent de se laisser engluer dans la misère.
Durant les deux premières parties, on découvre une galerie de personnages en souffrance. Mais à partir de la troisième, l’intérêt faiblit. Certaines scènes se contentent d’enfoncer le clou. En voyant Lucy attablée avec ses deux fils, on se doute que le repas débouchera sur une crise de nerfs. Et l’on s’attend aussi à ce que Vinnie reproche à Mary d’avoir raté la sauce à spaghettis. D’autres séquences trahissent l’essoufflement. La parade de séduction (4e partie) s’éternise. Fallait-il multiplier les danses disco pour satisfaire le public ? Des regrets qui ne masquent pas les qualités de cette fresque impressionnante. S’appuyant sur une construction complexe, parfaitement maîtrisée et une troupe de comédiens talentueux, débordants d’énergie, la metteure en scène rejette le misérabilisme et privilégie le désir de vivre. Des bouffées d’humanité dans un univers désolant. Fidèle au roman, elle s’est permis pourtant de terminer son adaptation sur quelques images, source d’espoir.
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