Dans le parloir d’une prison - que la musique et les vêtements semblent situer juste assez loin dans le temps et l’espace pour que le spectateur ne réduise la pièce à une critique sociale précise ou à un mythe hors temps - une sœur aux allures douces vient à la demande de son frère, cette brute condamnée. Tout semble être joué dès le départ, les rôles définis, leur passé dévoilé à demi-mots et on s’attend à un simple réglement de comptes et un dernier adieu. Mais le texte de Daniel Keene est plus subtil, révèle plus de profondeur, dans la construction du récit comme dans la psychologie des personnages. L’habile fragmentation narrative joue de répétitions en ellipses, de dialogues en monologues choraux pour dévoiler petit à petit la vérité de ces deux-là, comme en tournant autour de quelque chose d’inaccessible.
La seule certitude est que celui-là va être exécuté dans une heure. Plus qu’une dénonciation de la peine de mort, il s’agit surtout d’induire un rapport particulier au temps, une certitude quant à une fin prochaine. La fin de Martin, de leur relation et d’une possible réconciliation. Ni avenir, ni espoir. Sans futur restent les réminiscences d’une vie qu’ils ont peut-être bien rêvée... Il reste une heure à ces deux-là pour parler, se souvenir, se haïr et s’aimer encore un peu.
À travers ces souvenirs qui se répondent et s’entrechoquent ou ceux qu’ils revivent devant nous – allant jusqu’à prendre à tour de rôle la place du père -, c’est non seulement la complexité des rapports humains qui est interrogée mais aussi celle du rapport à la réalité et aux illusions que l’on se crée pour surmonter cette dernière. Peu à peu, ces écorchés de la vie offrent leurs mémoires en pâture à la froide vérité.
Cependant toutes les potentialités du texte de Keene n’auraient été telles sans la rencontre avec le jeu de Stéphane Pirard et Audrey d’Hulstère, dont la complicité colore cette relation fraternelle entre amour et violence, haine et tendresse. Ou sans la scénographie de Sophie Carlier qui, par son parloir de béton, instaure une froideur et une distance entre Martin et Sally qui sera peu à peu couverte. Ou encore sans l’esthétique presque cinématographique de Cédric Cerbara, appuyée par les lumières de Nicolas Thill, plongeant la pièce entre rêve et réalité.
Une « tragédie contemporaine » intense qui ne laissera personne indifférent...