Sur un socle, un fauteuil, et une lampe avec abat-jour, en dessous desquels s’étale une forêt de pics comme ceux que l’on utilise pour empêcher les pigeons de stationner sur les statues, les monuments, les terrasses. Le danger se tapit sous le confort apparent. Un homme (Erwan Daouphars) raconte son histoire, ou plutôt l’histoire d’une femme emprisonnée, enfermée dans un couple, ou dans une prison. Une femme, bonne épouse et bonne mère, qui s’est engluée dans la routine du couple. Au début, il y avait les fleurs, les « je t’aime », les inséparables, ces perroquets de poche - si l’un meurt l’autre se laisse mourir - et les enfants, deux. « Tu joues à la poupée et puis tu veux avoir des enfants ».
Sa mère lui a bien dit : « On tient un homme avec le ventre. Si tu fais bien à manger, il pourra toujours voir ailleurs, n’empêche il reviendra à la maison ». Alors elle multiplie les bons petits plats, plus riches les uns que les autres, et tout cela s’accumule dans les hanches, dans les fesses, dans le ventre au point que personne ne s’aperçoit qu’elle est enceinte. Une femme ça souffre, et elle souffre seule, jusqu’à commettre l’irréparable en se débarrassant du fruit d’un rapport sexuel, plus que d’une nuit d’amour, parce que lui ne l’aime plus, ou pas, et qu’il a de toute façon rencontré une autre femme.
L’autrice Solenn Denis a écrit ce texte en pensant à l’acteur Erwan Daouphars. Confier le rôle d’une femme qui a commis un néonaticide (meurtre à la naissance) permet selon elle de « fuir le réalisme pur qui nous empêche de vivre notre émotion ». On ne projette pas ses sentiments sur lui, il y a une distance théâtrale qui donne envie de s’approcher de la personne, de la comprendre. Effectivement, ce « stratagème » nous éloigne du fait divers pour entrer dans l’introspection d’une femme qui n’arrive pas à vivre par ou pour elle-même. Elle s’acharne à répondre aux attentes des autres, elle s’oublie, elle n’est absolument pas connectée avec elle, elle se perd, elle perd sa vie.
L’écriture de cette tragédie humaine et moderne est légère mais efficace, tout comme le jeu d’Erwan Daouphars. Difficile de faire passer, de rendre audible un tel drame sans fixer une image dans un seul sens. La pièce ne montre pas le monstrueux mais le côté humain d’un cheminement qui ne peut que susciter l’empathie, ou, à tout le moins, la réflexion. A voir, absolument...
« Sandre »jusqu’au 16 novembre au 140 à Bruxelles, 02/733.97.08, www.le140.be, au Centre culturel d’Éghezée, le 17 novembre. Tél. 081/51.06.36, www.centrecultureldeghezee.be.