Les nobles et les royalistes, qui séjournent à la pension Coignard font mine d’y soigner une santé chancelante. En réalité, ils fuient la guillotine, qui fonctionne à plein régime. C’est le cas de l’écrivain Choderlos de Laclos, de l’homme de lois Portalis, de la comédienne Estelle Lange et de son amant, Donatien de Sade. Ce dernier la contraint à répéter sa pièce "Lits de justice", dans laquelle il dénonce "la tribunalite" galopante. Elle lui obéit à contrecoeur. L’heure n’est pas au théâtre ! Robespierre est aux abois. Jamais le danger n’a été aussi grand. Estelle conjure Sade de saisir sa chance : contre ses faveurs, Barras, l’homme fort du moment, lui a offert un sauf-conduit, qui garantit la liberté à un de ses protégés. Mais Sade "a trop cultivé le démon pour craindre les flammes de l’enfer." Et il rêve que Portalis, symbole de la justice, se déshonore, pour sauver sa peau. C’est pourquoi, tel le diable tentant Saint Antoine, il va l’inciter à profiter du fameux sauf-conduit.
Cependant, ce passeport ne monopolisera pas la discussion. Les deux hommes s’affronteront sur l’opinion publique, les assemblées délibérantes, l’émancipation des femmes, le divorce, l’inceste, la colonisation, la peine de mort. Durant une longue nuit... Un dialogue de sourds ! Pour le conservateur méthodique : "La violence de la loi est aussi nécessaire aux sociétés dépravées que ne l’est la pharmacie aux corps malades." Et pour l’anarchiste cynique, l’homme de lois est "l’alibi du bourreau, la bonne conscience de la barbarie."
Portalis n’avait aucune envie de se mesurer au monstrueux marquis. Pourtant, au fil de la soirée, malgré les provocations de Sade, il défend crânement ses idées. C’est un homme rigoureux, idéaliste, qui se dit prêt à mourir la tête haute, mais qui ne peut s’empêcher de prendre l’offre du sauf-conduit en considération. Michel de Warzée fait ressentir intelligemment ce mélange de lucidité, de conviction, de fierté et de veulerie.
Sade, lui, se montre sans faiblesse et sans pitié. Il ricane devant les principes réactionnaires de son otage et n’hésite pas à abuser lâchement de sa cécité. Il règle ses comptes avec la justice, défend des idées progressistes et se laisse surtout emporter par son goût pour le désordre et la perversion. C’est avec une autorité magistrale que Jacques Viala incarne ce personnage inhumain mais fascinant par son machiavélisme, son ironie mordante, sa rhétorique flamboyante, sa folie destructrice et son orgueil luciférien.
"Tu peux me faire tout le mal que tu veux, je ne parviendrai pas à te détester." Cette réplique résume la situation de mademoiselle Lange. Stéphanie Moriau réussit à donner de la vivacité, de la fraîcheur et du charme à ce personnage de maîtresse désarmée. Il lui est impossible pourtant de le rendre attachant, tant la tyrannie de Sade l’écrase. Chaque fois qu’elle le presse de se sauver, on ne doute pas de la réponse. Méprisant "les misérables vies qui s’étiolent", Sade courtise la mort, s’imagine invulnérable et ne trouve pas d’adversaire à sa taille. Portalis est resté un homme, alors que Sade...