Dans "The Artificial Nature Project" l’homme est présent. Bien que la chorégraphe voulait créer une symbiose entre l’homme et la matière, c’est davantage dans un rôle subalterne que ce dernier est finalement perçu, présent pour manipuler cette matière, la déplacer, la mettre en mouvement, s’y cacher, en jouer. Vêtus en combinaison de technicien, portant masques et cagoules, ce sont des corps informes, unisexes, dépourvus d’identité qui sont donnés à voir, ce qui empêche de les percevoir comme mus par une intentionnalité autre que technicienne et prédéfinie. Ces corps ne sont pas des personnages, mais des matériaux parmi d’autres, des outils.
La vision traditionnelle du théâtre est ainsi remise en question : l’acteur n’est plus l’élément central de la représentation, au contraire, il est au service des autres matériaux, élément parmi d’autres convoqué pour créer une image, une sensation. Rien ne nouveau certes mais ce déplacement nous rappelle avec une efficacité rare, que le théâtre ne peut être réduit à la narration, au jeu d’acteur, à la mise en scène et que la scénographie, le travail des lumières et du son est tout aussi essentiel à la création et à la réception.
Pas de parole, pas d’histoire pour ce « Project ». Émerveillés comme des enfants collés à la fenêtre le premier jour de neige, nous contemplons. Des débuts d’histoires s’imposent à nous, des souvenirs nous reviennent. Et c’est un flot d’émotions qui se bouscule en nous au fur et à mesure que la matière elle-même se transforme devant nous. Jamais identiques, les matériaux modulés par la lumière, le vent, les mouvements des acteurs/danseurs, sont feuilles mortes, neige, pluie, vague,... On se voit sauter dans les feuilles en automne, jouer dans l’eau en été, admirer les flocons de neige en hiver...
La maîtrise des éléments scéniques est impressionnante. Comme face à un spectacle d’illusionniste, on voudrait comprendre comment ça fonctionne tout en s’empêchant de le découvrir : on ne veut pas casser la magie.
En un peu plus d’une heure, on traverse les quatre saisons et on retombe en enfance. Malgré quelques longueurs, la chorégraphe danoise rend, avec sa dernière création, un bel hommage à la nature, et par la même, à la vie.