La convivialité
Pour ne pas trop dévoiler, car le mystère fait partie du plaisir de la découverte, mais qu’il faut quand même bien qu’on vous en dise un mot, débutons par un rébus : mon premier est comme le silence, mon second est le contraire de tard, mon troisième est un graffiti et mon tout est affaire d’écriture… Disons aussi : un moine copiste, des petites saucisses, un tatouage, un hibou, Albert Einstein et la pataphysique. Soyez confiants, nous vous convions à une soirée entre amis, où sera mis au pilori un dogme qui s’ignore. Un dogme intime lié à l’enfance. Un dogme qui détermine notre rapport à la culture et à la tradition.
Passion pour les uns, chemin de croix pour les autres, il est sacré pour tous. Et pourtant, il ne s’agit peut-être que d’un énorme malentendu. Tout le monde a un avis sur la question. Après avoir bourlingué un peu partout, nos deux comparses s’installent au Public pour finir la saison en beauté par une remise en question salutaire. Alors, vous avez trouvé ? De quoi s’agit-il au juste ? Non ? Pour le savoir, il faudra venir voir. Alors prenez vos bics quatre couleurs, sortez de la marge, emmenez vos grands enfants, on va s’amuser à déboulonner l’un des piliers de notre savoir. C’est interpellant, décomplexant, instructif, drôle et vivifiant. Tout ça à la fois.
UNE CRÉATION DE LA COMPAGNIE CHANTAL & BERNADETTE. EN COPRODUCTION AVEC LE THÉÂTRE NATIONAL/BRUXELLES ET L’ANCRE/CHARLEROI. AVEC LE SOUTIEN DU THÉÂTRE LA CITÉ /MARSEILLE, DE LA BELLONE/BRUXELLES, DE LA COMPAGNIE LA ZOUZE/ MARSEILLE ET DU SERVICE DE LA LANGUE FRANÇAISE DE LA FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES. AVEC L’AIDE DU MINISTÈRE DE LA FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES (SERVICE DU THÉÂTRE). Photo © Véronique Vercheval.
Distribution
De Arnaud Hoedt et Jérôme Piron
Mise en scène : Clément Thirion, Arnaud Pirault et Dominique Bréda
Avec : Arnaud Hoedt et Jérôme Piron
Assistanat à la mise en scène : Anaïs Moray
Lundi 14 mai 2018,
par
Catherine Sokolowski
Panique chez les cruciverbistes
Arnaud Hoedt et Jérôme Piron (professeur de français et professeur de religion catholique reconvertis), propose un plaidoyer pour une simplification de l’orthographe. Cette réforme serait réservée à ceux qui n’ont pas encore acquis la graphie actuelle parce qu’il est « difficile de dire à ceux qui ont souffert qu’ils ont souffert pour rien ». Pendant une petite heure, ils défendent leur thèse : l’énumération des aberrations fait bientôt place aux raisons étranges qui ont mené à celles-ci, parfois bien éloignées des origines fantasmées. Sérieux et humour se côtoient dans cette joyeuse croisade conçue il y a 3 ans, déjà présentée en France et bientôt au Québec. Distrayant et instructif !
Pour nos hôtes d’un soir, il est fondamental de distinguer la langue et le code graphique qui permet de traduire cette langue sur papier. Si la langue française veut perdurer, elle doit absolument être simplifiée. Convaincus de cette idée, les deux compères entreprennent de détailler les mille et une raisons qui la rendent évidente. C’est comme cela qu’on apprend qu’il y a 12 moyens de transcrire le son « s », qu’il y aurait 240 manières d’écrire un nouveau mot (« crefission ») et que dans la phrase « Les grosses chaussettes que j’ai achetées sont bien chaudes », il y a 6 marques du pluriel pour seulement deux chaussettes ! La langue turque est, quant à elle, entièrement phonétique, une simplification radicale serait donc possible. Très didactique, nos deux professeurs entreprennent d’expliquer les causes d’un tel foisonnement de règles particulières, parfois beaucoup moins nobles qu’on ne le pense. Pas facile de convaincre l’opinion publique, qui confond soutien de la langue et de son orthographe et qui y voit aussi une dimension esthétique ou une marque de reconnaissance sociale. La doxa est bien établie et suscite les débats : après le spectacle d’une durée de 55 minutes, le public est invité à partager son avis. Ce soir-là, une dame s’inquiète « Je ne veux pas qu’on touche à mon joujou ! » : fiers et passionnés, les pros de l’orthographe ne se laisseront pas faire…
Une conférence sur l’étymologie qui offre l’avantage de sortir un peu plus instruit : Arnaud Hoedt et Jérôme Piron remplissent leur contrat avec brio. Pour eux, « l’outil dépasse son seuil de convivialité car l’homme est au service de l’orthographe ». Il est temps d’agir malgré les réticences. En ce sens, le spectacle dépasse le cadre du théâtre, il s’agit d’une forme de militantisme. Dans le futur, l’orthographe (simplifiée) ne devrait plus entraîner de discrimination, ce serait effectivement une grande avancée. A méditer.
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