Pour réduire ses frais d’études, Abigail habite chez Nora. Les jeunes filles ont le même âge mais des caractères très différents. Alors qu’Abigail s’efforce patiemment de justifier l’emploi du futur par la concordance des temps, Nora envoie promener ces explications grammaticales. Comme tout le reste ! Coincée dans sa crise d’adolescence ( à vingt-trois ans !), elle méprise les "vieux" et se défoule en tirant des coups de revolver à bouchons.
June, sa mère, l’a élevée seule. Avec bienveillance, malgré ses réflexions blessantes. Le coeur sur la main, elle tâche aussi de remonter le moral de sa soeur Wanda qui, à cinquante-cinq ans, se complaît dans un passé idéalisé. Déprimante, hypocondriaque, manipulatrice, cette Tatie Danielle réfute les diagnostics médicaux, en prétendant souffrir d’un cancer. Si, avant de mourir, elle pouvait revoir San Diego, la ville de son enfance... Pour June, pas question de céder à ce chantage !
Et pourtant le quatuor entame, dans une vieille Ford, ce pèlerinage de 3.000 kilomètres. Les remarques acides de Nora ou de Wanda sont balayées par les musiques des Beatles, de Lynyrd Shynyrd, de Pink Floyd, de David Bowie. On chante en choeur.Tout à coup, une embardée. La panne. On repart... à cinq : il n’était pas possible d’abandonner l’auto-stoppeuse, qui vient par miracle de relancer le moteur. Cette Joséphine Hooper, aux allures de Clint Eastwood, est une menace, mais deviendra un révélateur. Ses défis provoquent des remises en question. Nora regrette son ingratitude à l’égard de sa mère et, tout en se démarquant d’Abigail, ne ricane plus devant cette "petite madame". Toujours sur la défensive, celle-ci découvre qu’elle peut prendre des risques. En utilisant la manière forte, Jo oblige Wanda à se désintoxiquer de ses souvenirs, à renoncer à cette drogue. June ne subit aucune pression. Mais elle aussi change brusquement de cap. Habituée à se sacrifier, elle décide de penser à elle et de "retrouver cette puissance d’exister, sans espoir certes, mais pleine de vie et de jouissance."
N’attendez pas que les décors vous fassent respirer l’Ouest américain. Des bancs, une auto en carton, éphémères comme la vie, concentrent notre attention sur les rapports entre les personnages. Incarnés avec justesse par cinq comédiennes talentueuses, ils nous touchent par leur vulnérabilité. Une fois encore, Dominique Bréda met en scène l’Homme face à son destin et exorcise ce sujet grave par sa simplicité et sa fantaisie. Moins surprenante que "New York", "La Concordance des temps" est cependant une comédie allègre, chaleureuse et pertinente.
Jean Campion
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