Coincé entre sa femme, géôlière acariâtre, qui prétend "l’entendre penser" et ses deux filles trop laides pour appâter un mari, le général Léon Saint-Pé vieillit mal. Pour tuer son ennui, il trousse les bonnes, dicte ses mémoires et refait le monde avec le médecin de sa femme. L’irruption de Ghislaine de Sainte-Euverte va bousculer son existence morose. C’est en dansant "la valse des toréadors" que cette jeune fille est tombée amoureuse du lieutenant Saint-Pé. Il y a.. dix-sept ans ! Depuis ce bal du Cadre noir de Saumur, elle rêve de se donner au fringant officier. Mais celui-ci, trop lâche pour larguer son épouse, impotente imaginaire, la fait patienter. Aujourd’hui, elle est bien décidée à perdre sa virginité, car elle apporte la preuve de l’infidélité de la générale.
Avec son savoir - faire habituel, Anouilh s’appuie sur ce scénario à la Feydau pour déclencher une cascade de rebondissements cocasses et ...prévisibles. Mais il truffe ce vaudeville de discussions sur l’impatience qui emporte les jeunes amoureux, sur la lucidité terrible qu’amène la vieillesse, sur l’âme avec laquelle on se débat toute la vie. Nous prenons plaisir à écouter ces réflexions pertinentes et poétiques, mais parfois le texte s’embourbe dans des explications lassantes. Par exemple quand le général tente d’éclairer la notion d’honneur.
Le noyau de la pièce est la haine réciproque qui enchaîne Amélie, la générale, à son mari. Venu exiger le divorce, celui-ci est submergé par un flot de reproches et de menaces :"Quand nous aurons achevé de pourrir tous les deux, côte à côte, dans nos boîtes, des gens inconnus, en passant, liront que j’étais ta femme, sur la pierre." Cet enfer conjugal fait songer à "La Danse de mort" de Strindberg. Mais ici la violence déchaînée est désamorcée par les gesticulations grotesques de ces époux sournois et pathétiques.
Dirigés avec précision, les neuf comédiens nous entraînent dans cette sarabande, sur un rythme alerte. Ils incarnent leur personnage avec conviction, mais le jeu décalé de Stéphanie Moriau (Ghislaine), de Bernard d’Oultremont (le secrétaire) et de Danielle Fire (Amélie) nous rappelle que nous sommes au théâtre. Tout comme les décors kitch de Christian Guilmin. Michel de Warzée maîtrise efficacement les différentes facettes du général Saint-Pé. Irritant par ses propos machistes, sa mauvaise foi, ses allures de matamore, sa cruauté, son égoïsme, il nous désarme quand il réchauffe ses rêves romantiques ou qu’il avoue : "Je suis tout seul et j’ai peur." L’interprétation tout en finesse de Gérard Duquet fait du docteur Bonfant bien plus qu’un faire - valoir. C’est un confident clairvoyant, cynique, apaisant, qui correspond assez bien à l’homme vu par Anouilh :"un animal inconsolable et gai."
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