Après avoir planté le décor, un narrateur entame l’histoire de Mika. Rayon de soleil dans le camp, cette jeune fille de treize ans réconforte la vieille Soviet, cueille des fleurs entre les cailloux et batifole avec son copain Mubaris. Par jeu, elle enfile la robe de mariée de sa soeur, virevolte et ... trébuche. La robe est souillée irrémédiablement. Avec un optimisme indomptable, Mika va se lancer dans une quête rédemptrice. Elle se sent d’autant plus coupable qu’elle sait pourquoi Gulnara a englouti toutes ses économies dans cette robe. Le mariage symbolise l’espoir de fuir ce wagon pourri, de parler librement et de "vivre dans un petit appartement avec des rideaux aux fenêtres."
Cette noce est une éclaircie également pour d’autres exilés, heureux qu’une des leurs entretienne l’illusion d’un monde meilleur. Et Mika pourra compter sur leur solidarité. Cependant pas d’angélisme ! Les prédictions décourageantes du vieux Mahiaddin, les ricanements des voisins médisants et les combines crapuleuses du fourbe Javanshi rappellent que le pire côtoie le meilleur. Tour à tour chambre, penderie, salon, échoppe, l’énorme armoire, qui trône sur la scène, permet aux trente-trois brèves séquences de s’enchaîner sur un rythme alerte. Elle nous suggère des images contradictoires. Ce placard cache-misère, truffé de tiroirs, où l’on entasse des hommes comme des objets, devient parfois une caverne d’Ali-Baba dérisoire, mais reste aussi la tanière de la famille.
Pour illustrer l’histoire, que nous raconte Balaja, cinq comédiens font vivre une dizaine de personnages. Grâce à des changements de tenue et de voix. Avec une maîtrise remarquable, Gérald Wauthia passe du généreux Kazimov au cynique Javanshi. Dans la peau d’Arzu, la mère affairée ou de Gulnara, la fiancée déterminée, Laurence Briand transpire la rage de vivre. Anne Sylvain cumule les rôles de femmes à la dérive. C’est en exprimant le défaitisme de la vieille Soviet qu’elle se montre la plus convaincante. Mubaris (7 ans) et Mika (13 ans) sont interprétés par des adultes. Saïd Jaafari et Maya Boelpaepe n’essaient pas d’imiter le comportement d’enfants, mais se servent de leur solidité, pour traduire la transformation de leur personnage. L’espièglerie et l’insouciance s’effacent devant les obstacles à franchir. Soutenue fidèlement par Mubaris, Mika se montre tenace mais vulnérable.
Isabelle Hubert écrit aussi pour le cinéma. On le sent dans la construction de sa pièce. La concision des séquences incite le spectateur à les prolonger et à apprivoiser ce microcosme en marge de l’humanité. Sans pathos ni parti pris. Un choix que Geneviève Damas s’est efforcée de respecter. Sa mise en scène fluide et sobre suscite une émotion contenue et ouvre la porte à une réflexion humaniste. Au moment où fleurissent les malentendus et les amalgames, ce n’est pas du luxe.
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