En scène, neuf comédiens et un musicien. Ils vont donner vie à la chronique de Tarrou et Rieux...
Oran, une cité laide, ennuyeuse, où l’on travaille beaucoup. Toujours pour s’enrichir. Le matin du 16 avril, le docteur Rieux buta sur un rat mort, au milieu du palier. Une farce stupide, fulmina monsieur Michel, le concierge. Malheureusement, les cadavres de rats ensanglantés s’amoncelèrent un peu partout. Plus de huit mille collectés et brûlés en une seule journée ! Au comble de l’anxiété, les Oranais protestaient contre l’inertie des autorités. Cependant l’invasion cessa. Comme par enchantement. La ville respira mais le répit fut court. Monsieur Michel succomba rapidement à un mal mystérieux, dont les symptômes inquiétaient le docteur Rieux. Craintes confirmées par la multiplication de morts similaires. Pas de doute pour Castel, un confrère âgé, il s’agissait bien d’une épidémie de peste. Préfecture et municipalité traînaient les pieds pour prendre les mesures indispensables. Mais elles durent s’incliner et "fermer" la ville.
De courtes séquences révèlent l’évolution d’hommes prisonniers de cette situation. Petit employé de mairie, qui a raté sa vie sentimentale, Joseph Grand (Fabio Zenoni) se contente d’une vie modeste, qu’il pimente par le désir d’écrire un roman. Comme il piétine inlassablement sur la première phrase, son ambition le rend ridicule. Mais c’est un homme foncièrement bon, qui participe bénévolement à l’action des équipes sanitaires, en contrôlant des statistiques. A l’opposé de ce héros effacé, Cottard ( Ronald Beurms) se réjouit du malheur des autres. Lui, qui avait tenté de se suicider pour des raisons obscures, reprend goût à l’existence. Le fléau lui permet de s’enrichir par le marché noir et de détourner l’attention de la justice. Foudroyé par la mort de son jeune fils , Othon ( Bruno Georis) renonce à sa charge de juge, pour se mettre au service des autres. Dans un sermon sentencieux, le père Paneloux (Bruno Georis) avait présenté la peste comme une punition collective méritée. L’agonie atroce de l’enfant d’Othon trouble ses certitudes et l’incite à entrer dans les formations sanitaires. Dans un second prêche il remplace le "vous" par le "nous". Le journaliste Rambert (Toussaint Colombani) veut à tout prix s’échapper de cette souricière, pour rejoindre à Paris la femme qu’il aime. Il enchaîne démarches légales et clandestines. Mais quand son évasion est possible, il y renonce car "il y a de la honte à être heureux tout seul."
Fils d’un avocat général, Jean Tarrou (David Leclecq) considère que les peines de mort requises par son père étaient des assassinats abjects. La mort lui fait horreur. C’est pourquoi il se bat avec acharnement contre l’épidémie. Ouvert aux autres, il se montre compréhensif, même à l’égard de Cottard ou de Paneloux et ressent envers Rieux une franche amitié. Les deux hommes ont de nombreux points communs avec Camus. Chroniqueur de "La Peste", Bernard Rieux (Sébastien Hébrant) est l’âme de la résistance au fléau. Pour cet homme d’action, l’essentiel est de bien faire son métier. Son honnêteté ne l’empêche pas d’être tolérant. S’il refuse un certificat de complaisance à Rambert, il lui conseille de fuir pour sauver son bonheur.
En adaptant ce long récit à la scène, Fabrice Gardin s’est efforcé de mettre en valeur les messages de Camus et la complexité de ses personnages, dans un spectacle dynamique et fluide. Le décor intemporel et pratique permet aux nombreuses séquences de s’enchaîner rapidement. Dommage que les piliers centraux masquent parfois certains personnages. Camus est un philosophe qui a le sens de la formule brillante. En privilégiant un jeu naturel, les comédiens évitent le piège de l’éloquence et rendent leurs personnages attachants. Les interventions musicales de Luc Van Craesbeeck soutiennent l’émotion. Nous nous sentons proches de ces hommes solidaires qui, confrontés à la précarité de la condition humaine, s’engagent dans un combat à l’issue incertaine. Un exemple à méditer dans un monde gangrené par l’égoïsme et gavé par les fausses valeurs.
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