Quatre détenus, deux femmes, deux hommes, sont invités à participer à une expérience pilote : passer la dernière année de leur peine de prison sur une île déserte. Ni menottes, ni barreaux, ils sont logés dans des chalets, peuvent se déplacer librement dans l’île et sont surveillés par des gardiens qui ne sont pas armés. Toute tentative d’évasion ou acte de violence commis par l’un d’eux mettra fin à l’expérience pour tous les détenus qui seront renvoyés dans leur prison respective. Libres de gérer leur temps comme bon leur semble, ils doivent néanmoins obligatoirement participer aux ateliers qui y sont organisés. Pour ce premier trimestre, l’atelier est consacré au théâtre.
L’animateur de cet atelier, Vincent, entend les faire travailler sur « Antigone » de Sophocle. Mais même dans ce régime de relative liberté, la prison reste la prison et les prisonniers des prisonniers, avec leur agressivité verbale, leur réticence à participer pleinement, avec une violence pas toujours contenue qui s’exprime, au mieux, dans leur langage corporel. Les entretiens face caméra, autre obligation imposée par les termes du contrat, révèlent les failles de chacun, les difficultés à assumer leur autonomie après un séjour en cellule où ils étaient privés de tâches quotidiennes, l’angoisse du silence, l’ivresse de la nature, ... Mais peu à peu, ils manifestent une forme progressive d’acceptation des règles du jeu.
Le projet trouve son origine dans un article consacré à l’île norvégienne de Bastøy, située à une centaine de kilomètres au sud d’Oslo. Transformée en prison à ciel ouvert, elle accueille 115 détenus avec pour objectif de les responsabiliser pour qu’ils se défassent des nœuds du passé avant leur retour dans la société. Le taux de récidives des prisonniers se situe à 16% pour 60% de récidive dans les prisons belges.
Pendant quatre années, les metteurs en scène, Camille Sansterre et Julien Lemonnier, ont également rencontré des acteurs de terrain : directeur de prison, avocats, animateurs de théâtre en prison, anciens détenus, ... Ils ont partagé le fruit de ces rencontres avec les comédiens qui, à partir de canevas de situations préécrites, ont travaillé sur base d’improvisations. L’écriture de plateau a ensuite été retravaillée pour aboutir à une matière finale épurée.
La confrontation des vers de Sophocle avec le langage quotidien des détenus se renforcent mutuellement. Au gré des ateliers, les participants s’affirment, dévoilent leurs faiblesses, leur volonté aussi parfois. Même Vincent, qui dans une tirade homérique fustige le jusqu’au-boutisme des Grecs, n’en sort pas indemne. En dépit de quelques scènes superflues, le jeu des comédiens – Patrick Brüll, Olivier Constant, Mercedes Dassy, Wendy Piette et David Scarpuzza – est puissant et par moment d’une violence qui met mal à l’aise. La preuve qu’il est on ne peut plus réaliste et crédible.
« La compatibilité du caméléon » par le collectif P H O S/P H O R au jusqu’au 27 janvier Théâtre de la Vie à Bruxelles, 02/219.60.06, www.theatredelavie.be.
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