"La Chienne de Naha" de Caroline Lamarche, Gallimard
Avec « La chienne de Naha » Caroline Lamarche nous donne un roman essentiel, un de ces livres dont la lecture vous transforme, vous hypnotise, vous émeut, vous séduit et vous enchante tout à la fois.
Une légende cosmogonique amerindienne ouvre le livre et lui donne son titre énigmatique. On y raconte comment la femme est venue sur terre pour aider l’homme. Le conte ouvre ainsi une première lecture de ce récit : la place de la femme dans la société et dans la famille.
Des souvenirs nourrissent l’inspiration de la romancière qui entrelace dans une écriture parfaite le destin des personnages qui ont croisé celui de la narratrice depuis son enfance en Espagne jusqu’au voyage qui la conduit dans une communauté indienne du Mexique.
La fiction mêle sous la plume de Lamarche des souvenirs d’une enfant qui avait une seconde mère en la personne d’une « alma de la casa » espagnole et ceux d’un voyage qu’elle fit en 2007 dans la région où vit la communauté des Indiens Triquis, dans l’état d’Oaxaca au Mexique et d’où elle revint avec des enregistrements sonores, matériau d’un superbe documentaire radiophonique (diffusé sur les ondes de la chaîne radio belge "La Première").
La narratrice du roman a, elle aussi, préféré à l’appareil photo, un enregistreur « petite grotte où déposer sa voix à l’abri, la déposer dans le grand ressac universel ».
L’écriture de Lamarche est de cet ordre-là, une voix qui vous confie une histoire mais qui avant de vous la livrer, en explore toutes les facettes pour en dévoiler la quintescence. Chez Lamarche, la phrase est une musique par laquelle vous entrez dans le récit. Chacun des courts chapitres du roman s’inscrit dans une harmonie d’émotion et vous place à hauteur de la narratrice, protagoniste de ce voyage initiatique dans le Mexique qui est au cœur de sa quête. Avec elle vous captez les sons de langues appelées à disparaître, les bruits de la mégalopole, les rires et les pleurs, les prières enfantines, le vacarme des fêtes de la mort et le silence du deuil.
Faites une première lecture du livre, puis revenez-y à pour en ressentir à nouveau ce qui fait un grand roman : la sensation de ne plus voir le monde comme avant, d’être mieux armé pour la compréhension et l’empathie.
Espérons que ce livre (publié en février 2012) sera bientôt disponible en format de poche et rejoindra dans la bibliothèque du voyageur ceux de Sebald, de Bouvier et de Lowry. Lamarche est de leur famille.
Edmond Morrel
Sur le site de Gallimard et en quatrième de couverture figure l’extrait ci-dessous :
« Minuit sonne à l’église. Mes pensées se déposent en espagnol, comme si la langue de mon enfance m’avait recolonisée tout entière, une flaque d’or s’élargissant au fond de moi. Toute la colline fermente contre le ciel, autant d’arbres fraternels, soudés comme les vagues dans la mer, bercée par leur masse en mouvement. Les morts sont autant d’arbres, ils poussent parmi nous, mêlés à nous, être mort est une belle chose, simple et agréable. La nuit est douce, piquetée d’astres, j’imagine les chèvres dans les cimetières goûtant de leur langue rêche la bière répandue sur les tombes.
Une balle tirée d’un point obscur pourrait pénétrer par la fenêtre et m’atteindre à cet instant. C’est une conviction très forte, une évidence en cette nuit des morts : quelqu’un est là, qui me vise le cœur. »