La Cerisaie
La Cerisaie ne se résume pas à la nostalgie d’un monde englouti ; elle dépeint un tableau de vie qui repose sur l’éternelle opposition entre ceux qui, mélancoliques et indolents, restent attachés à un passé qu’ils embellissent en occultant les réalités du présent ; ceux pour qui il faut vivre selon ses aspirations profondes ; ceux qui éprouvent un vertige à regarder vers l’avant ; ceux qui aspirent à sauter dans une vie nouvelle par le travail, l’esprit d’entreprise, le goût du lucre ou le recours à la froide raison. 110 ans après sa création, l’oeuvre est toujours aussi troublante et forte. Est-ce parce qu’elle dessine cette « parabole éternelle sur le destin de l’être humain » pris dans l’entre-deux de l’ancien et du nouveau, de la beauté et du progrès, du rêve et de la réalité, d’un passé qui a tout dit face à un avenir empli d’inconnu et donc de promesses ?
Entre la première pièce de Tchekhov, Platonov (ou presque), qu’il met en scène au Théâtre Océan Nord et la dernière à laquelle il s’attelle à présent, Thibaut Wenger fait un lien. La Cerisaie, dit-il, est tout à la fois la fin d’un cycle qui se trouvait déjà dans Platonov, et le début d’un autre, une ouverture. Tchekhov disait : « Après, j’écrirai autrement » et projetait,d’écrire une pièce sur le silence et le Pôle Nord. Je trouve dans la polyphonie en creux de cette déjà pièce-paysage qu’est La Cerisaie, une douceur, une fragilité. Un mobile singulier, habité par un réseau de signes et de spectres convoqués dans un temps rêvé, celui de l’enfance. Un nouveau continent de nuits blanches et de secrets. Je rêvais depuis longtemps de mettre en scène cette fête manquée, à contretemps, où l’on badine alors que dehors le monde explose. On y convoque une dernière fois la communauté d’inadaptés improductifs et ruinés du vieux monde tchékhovien, de négligents obsolètes oubliés par l’Histoire. Ils ont un drôle de problème diffus et, insoluble dont ils attendent l’improbable résolution, tout au long d’une révolution immobile des saisons. Ces grands enfants distraits, perdants fauchés, c’est aussi un peu nous ; cette maison, dont les exilés porteront la mélancolie, notre théâtre aujourd’hui. AVEC : Mathieu Besnard, Nina Blanc, Olindo Bolzan, Sophia Leboutte, Marcel Delval, Yves-Noël Genod, Marie Luçon, Claude Schmitz, Nathanaëlle Vandersmissen, Laetitia Yalon, Pierre Giafferi,… / SCÉNOGRAPHIE : Boris Dambly, Raffaëlle Bloch / COSTUMES : Raffaëlle Bloch, Odile Dubucq / LUMIÈRE : Eric Vanden Dunghen / MUSIQUE ET SON : Grégoire Letouvet, Geoffrey Sorgius / ASSISTANAT A LA MISE EN SCÈNE : Judith Ribardière / TRADUCTION : Roumen Tchakarov / MISE EN SCÈNE : Thibaut Wenger.
Mercredi 26 novembre 2014,
par
Christophe Ménier
Quand la nostalgie vous mord le coeur
Il parait que ce sont dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes. La pièce La cerisaie de Tchekhov, mise en scène par Thibaut Wenger et présentée hier au Varia à Bruxelles, était l’occasion d’éprouver ce vieil adage.
Ce qui est sûr c’est qu’hier tout était vieux : à commencer par les acteurs. Dans ce cas, vieux ne veut pas dire dépassé. On sent que ces vétérans ont de la bouteille derrière eux. De vieilles bêtes de scène en somme. Francine Landrain est troublante dans le rôle de Lioubov, la propriétaire du somptueux domaine où se trouve la fameuse Cerisaie, et qui se voit contrainte de le mettre en vente publique pour éponger ses dettes dues à l’indolence d’une vie d’aristocrate où l’argent n’a pas d’importance. Poursuivie par ses souvenirs d’enfance et le fantôme de son fils mort par noyade quelques années plus tôt, Lioubov est une femme tendre, amoureuse de la vie, profondément nostalgique. L’actrice porte le texte de façon à la fois engagée et naturelle ; c’est une des principales forces de la pièce. Un beau rôle qui lui sied à merveille. Quant au frère de Lioubov, Gaïev, campé par Marcel Delval, il incarne un contre point à la fois ridicule et comique à la nostalgie de Lioubov. Personne ne le prend au sérieux, il parle trop. L’interprétation de Lopakhine, autre personnage centrale, qui tente de convaincre Lioubov de rentabiliser la propriété en la louant en différentes parcelles, tombe malheureusement dans certains travers. Mathieu Besnard, qui représente ce self-made-man aux origines paysannes, donne une lecture un peu caricaturale du parvenu sans cœur porté par une soif de revanche sur des aristocrates qui n’ont pas mérité leur fortune, n’ayant jamais travaillé de leur vie. Quant au vieux domestique Firs, il est de loin le personnage le plus attachant de la pièce. Laetitia Yalon porte le rôle avec finesse et éloquence et on se surprend à écouter attentivement ce vieillard radotant qui aurait pu rester un personnage secondaire. Pointons encore le rôle du jeune Tropimov, l’éternel étudiant révolutionnaire qui se croit au dessus de l’amour et de l’argent, interprété par Claude Schmit qui en propose une version très littérale, parfois un peu gesticulante et trop fiévreuse, mais qui n’en fait pas moins comprendre les enjeux présents dans le texte.
La mise en scène aussi était vieille. Mais cette fois vieux dans le sens de poussiéreux et éculé. La scénographie n’était pas soignée, les costumes hasardeux, le décors sorti d’un vieux grenier. On est loin de la propriété somptueuse de l’aristocratie russe de la fin du 19è siècle. Le traitement des ponts musicaux dans les changements de scène est incompréhensible et les quelques effets de lumière, fumigène, tour de magie et autre lâché de tulle sont superflus. De plus, la lecture dramaturgique de la pièce n’a rien d’originale et on peut légitiment se demander ce qui a amené Thibaut Wenger à monter cette pièce comme on l’a déjà vu montée cent fois.
Christophe Ménier
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