Elle est seule sur scène avec pour seul décor, seul accessoire, une chaise rouge en plastique. Un sourire radieux illumine son visage et dévoile « les dents de la chance ». Sous cette lumière qui irradie le plateau, point un récit, souvent dur, parfois drôle, le récit d’une petite fille née en Haute-Volta, devenu aujourd’hui Burkina Faso, élevée par sa mère et qui n’a jamais été reconnue par son père, qui habitait pourtant à quelques maisons de là, dans le même quartier pauvre de Ouagadougou.
A cinq ans, elle part retrouver sa grand-mère parce qu’elle ne comprend pas pourquoi sa mère ne veut pas qu’elle se fasse exciser. Cette dernière intervient à temps pour empêcher la cérémonie, ce dont Edoxi lui est toujours reconnaissante aujourd’hui. Sa mère qui a pris en charge seule ses cinq enfants, tous de pères différents, refusant d’avorter et, surtout, refusant le chantage « tu me laisses l’enfant ou tu te débrouilles sans mon aide ». Injustice faite aux femmes mais aussi aux enfants.
Le récit d’Edoxi est le récit d’une fille « bâtarde » en quête de son identité, un récit où « la place du père est le centre de la distance », mais aussi le récit de l’émancipation de la femme à la manière d’entraves aux pieds. Sa mère, petite femme d’apparence fragile, a toujours montré à ses enfants qu’il fallait prendre ses responsabilités, assumer son « statut » de femme indépendante. Elle qui multipliait les petits boulots -si tant est que l’on puisse parler de boulots -, vendre de la soupe, ramasser les plastiques ou du sable, pour arriver à boucler les fins de semaines où l’on ne mangeait qu’une fois par jour.
Mais le récit d’Edoxi qui prête sa voix et ses attitudes à nombre de personnage, croise également celui de son pays longtemps sous le joug d’un dictateur, Blaise Compaoré, irresponsable par rapport à son peuple comme son père l’était à son égard. Elle applique ainsi l’un des enseignements du metteur en scène belge Philippe Laurent avec lequel elle a suivi des ateliers d’écriture à Ouagadougou et qui met en scène le spectacle : lier la petite histoire à la grande. Compaoré arrive au pouvoir en octobre 1987 à la faveur d’un coup d’État qui renverse le président Thomas Sankara qui y perdra la vie. Anti-impérialiste, panafricaniste et tiers-mondiste, Sankara s’est consacré au développement de son pays, à la lutte contre la corruption et à la libération de la femme. Le 31 octobre 2014, après 27 ans au pouvoir, Compaoré est contraint à la démission suite à une insurrection populaire.
A cette époque, Edoxi est en Suisse mais elle suit de près les événements et le départ du dictateur la soulage d’un poids, la libère d’une oppression. Elle écrit « Legs » en un mois, transformant sa rage personnelle en un cri universel teinté d’humour et d’émotion, donnant la parole aux enfants, aux jeunes et aux femmes que l’on n’entend pas. Le titre de la pièce « Legs (suite) » évoque en français l’héritage et en anglais les jambes sur lesquelles on essaie de tenir debout. Une autre signification possible vient des initiales de la comédienne, Lionelle Edoxi Gnoula auxquelles elle ajoute Scène. « Lionelle est mon deuxième prénom, explique-t-elle, et cet acronyme traduit l’enjeu qui consiste à me jouer moi-même pour faire écho à une réalité collective. »
Didier Béclard
« Legs (suite) » de et avec Edoxi Gnoula, mise en scène Philippe Laurent, jusqu’au 9 décembre dans le cadre du festival Mouvements d’identité » au Théâtre Océan Nord à Bruxelles, 02/216,75,55, oceannord.org.
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