Remonter dans l’arbre généalogique de cette famille névrosée est un jeu malicieux. Pour ne pas gâcher le plaisir du spectateur, contentons-nous d’évoquer les trois parties de la pièce. Chacune dans sa bulle, trois soeurs confient leurs blessures intimes au public. Un mal-être confirmé par la dureté de leurs échanges téléphoniques. Claudette ne jurait que par son bébé. Mais, quand celui-ci lui a murmuré qu’il la mettrait dans le feu, dès qu’il serait grand, elle a perdu les pédales. Si Claudine ment à son thérapeute, c’est pour lui parler de la vie dont elle rêve. Elle se dessèche, en fabriquant de mauvais "biscuits maison faits sans maison". Plus farouche, plus lucide, plus entreprenante, Claudie se moque de ses soeurs, avec une ironie mordante. Pourtant, elle n’est pas méchante comme leur mère, qui n’a jamais aimé personne.
Dans un climat plus paisible, la deuxième partie raconte une idylle laborieuse entre deux isolés. Clément moisit devant son ordinateur et Carole, culpabilisée par la mort de son chat, s’enferme dans ses remords. Grâce aux petites annonces, ils se rencontrent, jouent à "Des Dragons et des rois", boivent une "grosse liqueur" avec une paille. "C’était comme si on s’embrassait, mais par correspondance". Il faudra pourtant que Clément laisse éclater son amour, pour enfin lécher les orteils de Carole. Comme le faisait Cookie. Caroline, l’héroïne de la dernière séquence, se laisse envoûter par les photos de tueurs en série. Incapable de calmer sa libido, elle se déchaîne dans une nuit torride avec le meurtrier au marteau : "Une descente au paradis."
Reconstituée, l’histoire reste étrange. Ces personnages, qui ont la mort dans le sang, luttent contre la fatalité, se refusent à transmettre leur malheur. Mais, protégeant les enfants, ils renoncent à leur manifester de l’amour. Si certains nous choquent par leur incompétence, leur férocité ou leurs perversions, ils suscitent aussi l’empathie par leur fragilité ou leurs frustrations. Des objets symboliques comme une cage, une paire de chaussures, une boîte de biscuits, un marteau fiché dans un poste de télé et une langue grinçante, savoureuse, crue, pleine de trouvailles poétiques aident le spectateur à quitter le réel, pour mieux y revenir.
Un détour ludique éclairé efficacement par la mise en scène très sobre de Georges Lini et le brio des comédiens. Dans la peau de Claudine, vieille fille qui perd pied, Violette Pallaro est cocasse et attendrissante. France Bastoen exploite avec la même aisance la causticité de Claudie et la lubricité de Caroline. Naïf, maladroit, Laurent Capelluto exprime subtilement le désir d’émancipation de Clément. Dans le rôle de Carole, Marie Du Bled est drôle et touchante. En revanche, poussée par l’hystérie de Claudette, la mère défaillante, elle adopte un débit trop rapide, qui nuit à la compréhension. La progression dramatique du "Brasier" est moins réussie que celle de "Porc-épic" (pièce de David Paquet montée par Marine Haulot, en 2009). Mais on y retrouve le mélange de pudeur et de provocation qui nous sensibilise aux désarrois d’antihéros. "Tu penses pas qu’on serait plus heureuses, si on était malheureuses ensemble ?" demande Claudine à sa soeur.
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