Un motard fait irruption à l’avant-scène, se débarrasse de sa combinaison et s’installe...au clavecin. Le ton est donné. Sans " faire systématiquement anachronique ", on prendra de sérieuses libertés avec ce classique. Ainsi la sérénade sous le balcon de Rosine devient un numéro de music-hall. Devant son micro, le comte Almaviva se transforme en crooner à la Julio Iglésias. Pour exprimer l’irascibilité du tyrannique Bartholo, Jean-Pierre Baudson adopte la gestuelle de Louis de Funès. Dans une scène d’ivresse, on reconnaît la voix avinée d’un ministre célèbre. Certains jeux de scène outrés nous donnent parfois l’impression de regarder un dessin animé. Il faut voir par exemple Rosine descendre un escalier trop étroit dans sa somptueuse robe à cloche. Enregistrée ou jouée en live par le claveciniste Bernard Dekaise, la musique parodique, narquoise nous incite, elle aussi, à guetter les clins d’oeil ou les gags.
Par son imagination débordante, le metteur en scène stimule notre curiosité, sans trahir l’esprit ou le texte de Beaumarchais. Cependant, si l’action rebondit avec vivacité, si les affrontements sont explosifs à souhait, les scènes où un personnage fait le point, en s’adressant au public, ralentissent la représentation, tout comme les quatre changements de décor, rideau fermé. Ces coupures empêchent l’espagnolade de s’emballer.
Tour à tour amoureux contrarié, militaire encombrant, bachelier maniéré, Axel de Booseré donne beaucoup de couleur au comte Almaviva. Rosine n’a pas l’innocence d’Agnès, l’héroïne de Molière dans "L’Ecole des femmes". Elle vit la même situation très différemment. Incarnée avec souplesse et détermination par Jeanne Dandoy, elle joue les coquettes, manie l’ironie et se rebelle farouchement contre le tuteur, qui la séquestre. Ce docteur Bartholo qui permet à Jean-Pierre Baudson de réussir une composition savoureuse. On devrait haïr ce vieillard despotique, maladivement méfiant, prêt à toutes les combines pour satisfaire son égoïsme et l’on se régale de sa noirceur. A l’ombre de ce trio conquérant, Fabrice Murgia est un Figaro sympathique, malicieux, bondissant (les pirouettes sont impeccables), mais trop discret. Beaumarchais lui a insufflé son insolence. On aimerait qu’elle imprègne un homme qui est " persuadé qu’un grand nous fait assez de bien, quand il ne nous fait pas de mal ". On aimerait respirer davantage un parfum de révolution.
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