Au début de la pièce, l’avocat Lemkin meurt d’une crise cardiaque, après avoir été éconduit, une nouvelle fois, par la conseillère d’un sénateur, qui ne veut plus être importuné par cet obsédé du génocide. Nous ne suivrons pas une biographie linéaire et exacte. Bousculant la chronologie historique (Lemkin est décédé en 1959, huit ans après l’entrée en vigueur de l’interdiction de ce crime "sans nom"), l’auteur nous propose, en vrac, une série de scènes qui se passent durant sa vie mais aussi surtout après sa mort.Incité par les politiciens à se mettre sur la touche, en se consacrant aux...mots croisés, Lemkin est hanté par les génocides récents, véritables gifles assénées à la loi qui avait couronné son combat. Les victimes (tutsies et bosniaques) et les bourreaux (hutus et serbes) soulignent la nécessité de poursuivre la lutte. En revanche, si sa mère juive intervient aussi dans son cauchemar, c’est pour lui reprocher d’avoir sacrifié sa vie sentimentale au profit de sa cause. Quant aux représentants du monde politique, ils s’évertuent à calmer ses ardeurs.
La construction est originale , mais malheureusement la pièce s’essouffle vite, car ce combat indispensable reste flou. Bien sûr, on déplore la passivité et l’hypocrisie des gens de pouvoir (Les Etats-unis ont remplacé le mot génocide par une formule exorcisante : "le mot G") et on est révoltés par cette barbarie permanente qui reste impunie, mais on ne cerne pas d’adversaires consistants et on en est réduits à partager le sentiment d’impuissance éprouvé par Lemkin.
Ne quittant pas la scène, Jean-Michel Vovk a le temps de donner vie avec sobriété à son personnage tourmenté. Ses quatre partenaires, qui se partagent les seize autres rôles, ont moins de chance, car les brèves interventions de certains ne visent qu’à illustrer une seule idée. Heureuse exception : la séquence qui évoque les rapports entre Lemkin et Tatjana, une détenue bosniaque, émerge de ce patchwork, grâce à l’émotion qui s’en dégage.
L’ampleur du plateau est un handicap pour les comédiens. Ils apparaissent souvent comme des figurants perdus dans ce grand espace et certaines entrées et sorties ralentissent le rythme du spectacle. Le décor ne brille pas par son efficacité. On peut s’interroger sur l’apport des volets qui descendent ou remontent, au terme de certaines scènes. Fallait-il étaler d’emblée les accessoires (champagne déjà servi, journal, magnétophone) utilisés durant la représentation ?
On regrette d’autant plus les lacunes de cette pièce qu’elle a le mérite de s’attaquer à un problème lancinant et essentiel. Porte-parole d’un théâtre-citoyen, Catherine Filloux participe à des colloques comme "Devoir de voir : Revivre après un génocide ou des crimes contre l’humanité". Il est très probable que des questions traitées superficiellement dans "La Maison de Lemkin" trouvent des réponses plus enrichissantes dans ces discussions.