A la tête d’un empire (agroalimentaire et grande distribution), Hammond a tenté une OPA sur la société d’armement, dont le vieil Oldfield est le P-DG. Celui-ci a réussi à garder le contrôle de son entreprise. Dodds, son homme de confiance, le félicite et Léonard, son fils adoptif, profite de l’euphorie, pour lui demander d’intégrer immédiatement le conseil d’administration. Refus catégorique d’Oldfield, pour des raisons... stratégiques. Cependant Léonard brûle de s’affirmer et, encouragé par Dodds, se lance dans une aventure financière. A l’insu de son père ! Il accepte de renflouer l’entreprise d’armement Wilbraham, à une seule condition : en devenir le P- DG. Pantin alcoolique et joueur, indigne de l’héritage paternel, Wilbraham s’incline. Hammond tient sa revanche. Grâce à la ruse de Dodds, il a fait tomber Léonard dans un piège. Quand celui-ci héritera de ses parts de la compagnie Oldfield, il devra les remettre à Hammond, qui deviendra l’actionnaire majoritaire. Léonard n’occupera jamais la place de son père.
Les péripéties suivantes confirment l’entrelacement entre la cruauté du monde économique et la filiation. Léonard cherche sa place dans le monde. Plus rien ne le rattache au quartier de sa mère, qui l’avait abandonné à sa naissance. Oldfield l’a adopté, mais Léonard se sent-il réellement son fils ? Il faudra qu’il le trahisse puis qu’il tente délibérément de le tuer, pour éprouver cette sensation. Egoïste, colérique, paralysé par ses certitudes, Oldfield ne comprend pas son héritier et adopte à son égard des comportements contradictoires.
S’il est clair que Dodds est LE traître et que Wilbraham est un loser pitoyable, Hammond se montre plus énigmatique. Il nargue Léonard, victime de ses magouilles. Plus tard, le retrouvant dans un squat, il le pousse à se réconcilier avec son père et lui propose même de l’accueillir comme son propre fils. Ce carnassier, habitué à vivre avec des gens corrompus, est-il attiré par son innocence ? L’auteur se sert parfois de certains personnages, pour dénoncer les dérives du capitalisme. Ainsi Hammond affirme cyniquement : "Les gouvernements disent qu’ils ne peuvent s’offrir de la nourriture ET des armes. Des canons ET du beurre. Alors ils disent au peuple de crever de faim. Vous ne pouvez pas vous offrir à manger, mais vous devez être en mesure de tuer : c’est cela l’histoire. Des sacrifices."
Unique décor : un fauteuil qui trône au milieu d’un carré dessiné par deux rangées de sièges. Souvent pris en sandwich, entre les personnages au centre de la scène et ceux qui se glissent dans leur dos, les spectateurs sont survolés par les échanges. Impliqués au maximum, selon le voeu du metteur en scène Frédéric Dussenne, ils ressentent la violence des joutes verbales, le lyrisme de certaines tirades et la conviction d’excellents comédiens. Dommage que la multiplication des explosions de colère en atténue l’impact. L’ombre d’"Hamlet" plane sur Léonard et celle du "Roi Lear" sur Oldfield. Seul prolétaire, Bartley est le bouffon shakespearien qui devrait laisser respirer le public. Malheureusement ce personnage insaisissable n’apporte pas la détente souhaitée. Au contraire. Ses commentaires alcoolisés alourdissent la tragédie. Les spectateurs apprécient l’ambition et l’écriture d’Edward Bond. Ils vibrent à l’unisson de six acteurs de talent. Mais, durant deux heures trente, ils se voient, sur des chaises peu confortables, plongés dans une atmosphère étouffante. L’esprit est satisfait, les fesses beaucoup moins.
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