Une dizaine de ballots de paille parsèment le plateau. Au sommet d’un poteau, une tête de bovin menace le public de ses orbites creux et sombres. La lumière chaude et lumineuse baigne cette joyeuse configuration tandis que les deux comédiens entrent sur scène. Dans cette ambiance pastorale et chaleureuse, les compères vont multiplier les éléments, tels des magiciens tirant de leur chapeau une infinité d’objets. Poules, canards en plastique, poireaux, œufs, cape et gant blanc miniatures, voilà une bien singulière distribution pour incarner la tragédie de Sophocle. Les tableaux s’enchainent souplement dans une narration généreuse et haute en couleur. Cependant, cette folie permanente aurait sans doute gagné à être recentrée vers certaines expressions, telles les jeux de marionnettes qui produisent un effet des plus savoureux.
On ne peut être aussi convaincu des nombreux moments de digression, dont les intentions humoristiques nuisent parfois à une narration bien rythmée. Certes, il est normal que la psychanalyse, discipline qui a œuvré pour installer Œdipe en personnage éternel de notre culture, soit quelque peu chamaillée. Du reste, il n’est sans doute pas nécessaire d’interpeller le public aussi souvent, que ce soit à propos de la condition du comédien, de la philosophie socratique ou des mérites et défauts du régime démocratique. La mythologie offre une matière suffisamment riche pour qu’on ne doive pas y adjoindre une série de thèmes, dont la parenté avec le sujet initial semble parfois un peu forcée. Naturellement, les longueurs et ruptures qui s’en suivent seront vécues avec un plaisir tout relatif, selon les diverses sensibilités.
Malgré quelques lourdeurs regrettables, cet Œdipe à la ferme demeure de bonne facture. Le moment passé en compagnie de cette folle ménagerie devrait en séduire plus d’un, par la légèreté de son humour et la qualité de ses comédiens. Il n’est pas certain que Sophocle sorte indemne de cette expérience, mais pour le plaisir du public, que ne ferait-on pas ?
Charles-Henry Boland