Dans la grande salle du Théâtre National, face à un public curieux, l’écrivain Hollandais Arnon Grunberg envoie à la barre Josse de Pauw. Le texte est une adaptation de “De Mensheid Zij Geprezen” (Louée soit l’Humanité), essai que Grunberg publie en 2001, alors qu’il n’a que 30 ans. Si le texte original a été retravaillé pour la scène, sa volonté primale reste inchangée : défendre l’Humanité. Sur le banc des accusés figurent des têtes bien connues : Balzac, le Marquis de Sade, Giacomo Leopardi.... Autant de grands penseurs et d’artistes qui, de tout temps, se sont plus à diffamer l’homme, à pointer le vice inhérent qui habite sa nature. Confronté à ces siècles d’accusations, Josse de Pauw tente, par un plaidoyer fougueux, de redorer le blason d’une humanité fourvoyée. Les mots sont forts, parfois même choquants et alors qu’il tente d’expliquer, d’excuser les faiblesses de la nature humaine, l’avocat pointe aussi avec une lucidité effrayante les travers de cette race qu’il dit tant aimer.
À l’image d’une cours de justice, le plateau, orné d’un simple cadre de bois, est solennel. En son centre, accroché à la barre, l’acteur cherche à captiver son audience. Dans cette entreprise, il est accompagné par deux forces artistiques : chaque soir, le pianiste Christian Mendoza et la soprano Claron McFadden improvisent sur scène. Insufflant à l’œuvre une nouvelle intensité dramatique, ils appuient de leurs envolées lyriques tantôt un mot, tantôt une pause qui incite à la réflexion. À la fois partie intégrante du spectacle et électrons libres, ils aident à soutenir l’attention du spectateur dans les moments où le texte écrit se fait par trop sentir.
« L’Humanité » oscille sans cesse entre fiction et réalité et les frontières du jeu y sont poreuses. Alors que le spectacle touche à sa fin, le monologue vindicatif devient, avec l’intervention de Grunberg lui-même, dialogue satyrique. Ensemble, De Pauw et Grunberg détricotent le véhément discours dont ils sont pourtant les instigateurs. Des choix des mots à la mise en scène, tout est analysé avec recul, mis en contexte. En toile de fond, cette question, telle une grande inconnue : l’être humain a-t-il été réhabilité ? Le spectacle nous laisse avec un doute infini pour toute note de fin.
Amateurs de boucles bouclées, passez votre chemin, l’Humanité soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Embarqué dans un débat qui par moments semble le dépasser, le spectacle soutient parfois une opinion et parfois son contraire, sans jamais vraiment se poser. Un parti pris qui laissera l’esprit de certains aussi confus qu’une girouette un soir de tempête.