Eric De Staerke, à la mise en scène, construit pour cette pièce un dispositif scénique évolutif : deux cordes à linge traversent la scène et viendront accueillir différents draps qui, selon la manière dont ils sont pliés et agencés, vont dessiner différents espaces. Ainsi, un cube évoque le lit, une ouverture devient la chambre, un drap posé sur la corde sert de salle de bain. Des vêtements accrochés font office d’étagères ou de frigo. En fond de scène, un immense tissu blanc suspendu aux perches restreint l’espace de jeu pour une plus grande proximité, et sert d’écran pour mettre en valeur les comédiens. Un dispositif léger, prometteur au premier regard et plutôt ingénieux.
En plus, dès que la pièce commence, le plongeon dans la littérature de Visniec est direct : tout sonne flou comme un rêve, s’embrouille et se surcharge. Nous sommes en plein surréalisme. Cela se calme dès la première nuit, où une première clef d’analyse nous est donnée : Elle, distante, évanescente, statique, dans sa longue robe noire prend des allures macabres. La mise en scène semble avoir pris le pli de la présenter en Camarde. Sa venue d’ailleurs isole Lui du monde, des amis, du travail. En témoignent les messages laissées sur répondeur ou la seconde nuit, durant laquelle même le langage se perd et se détricote. C’est dans la troisième nuit que ça se complique : Lui a "un accès de logorrhée" et se lance dans une fabuleuse métaphore sur sa famille. Avec ce qui devrait être un écoulement de parole, le texte reprend donc du poil de la bête et va contre la lenteur qui s’était installée jusque là. Cependant, jouée à contre-pied, dans une forme de tendresse autour d’une illustration de la maternité, cela devient une rupture de sens où manque la rupture de rythme. De quoi bercer un peu plus le public. La quatrième nuit, fort heureusement, vient remettre de l’énergie. Elle rentre avec un cadeau très particulier : un oiseau invisible. Face à cela, Lui reste relativement dubitatif. Dommage, car cela donne un caractère méta-discursif à une scène en demi-teinte, et finalement on ne sait plus trop si c’est le comédien ou le personnage qui doute. Quatre autres nuits s’enchaînent de la sorte, où la mise en scène finalement réaliste semble résister à l’absurde croissant du texte, jusqu’à une scène finale qui devient complètement loufoque.
Finalement, le spectacle laisse un arrière-goût décevant par trois fois. D’abord, les comédiens ne se parlent pas. Ce n’est pas que les scènes semblent fausse, simplement, ils ne s’adressent pas l’un à l’autre et donnent régulièrement l’impression de flotter l’un à côté de l’autre. Ensuite, la scénographie n’est pas exploitée. Pourquoi avoir certains accessoires et pas d’autres si ce n’est pas pour jouer sur une disparition progressive des signes ? Les cordes à linge offrent une structure intéressante qui pourrait être exploitée dans la thématique de la séparation ou de la distance, mais comme les acteurs ne jouent pas avec, cela devient un obstacle qui coupe la scène et crée une distance avec le public qui du coup, reste hors du moment. Enfin, la mise en scène travaille contre le texte. Il manque une nuit, sans que rien ne justifie cela, et plusieurs autres coupures dans le texte ne font qu’élaguer une pièce déjà courte. Les scènes se perdent dans un jeu lent et réaliste, avec beaucoup de silence (alors que les quelques pauses sont notées dans le texte). Or, le surréalisme joue sur les mécanismes de l’inconscient et du rêve, il va dans le ressenti pur, pas dans l’explication. Cela nécessite de la surcharge, d’envahir le spectateur, de l’empêcher de penser avec son cerveau pour faire naître... autre chose. Une analyse du texte le prouve : Visniec imagine de jouer sur d’autres sens que la vue et l’ouïe pour soutenir son propos, en proposant comme final qu’une "odeur de pomme envahisse la salle". Si cela représente, avouons-le, un défi technique pour le metteur en scène, c’est surtout un indice de ce qui fait sens dans l’écriture de l’auteur.
Pour couronner le tout, les conventions éclatent. Sur une pièce aussi courte, malheureusement, c’est un détail qu’on ne rate pas vu qu’on n’a pas le temps d’en construire d’autres : par exemple, jouer qu’on est nu alors qu’on a un pantalon, cela peut passer, sauf si on était vraiment nu une scène auparavant. Surtout dans une pièce qui aborde la sexualité, l’amour, l’intimité et la pudeur. Dans ce cadre-là, cela devient un signe que le public relève, questionne et finalement, rejette avec un haussement d’épaule vu que n’en résulte ni réflexion ni ressenti pertinent.
Malgré ces défauts, "L’histoire des ours-panda raconté par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort" aux Riches-Claires reste une occasion rare de découvrir l’oeuvre intéressante et très particulière de Matéï Visniec, un auteur roumain remarqué pour son écriture épurée et engagée contre le totalitarisme. Il est interdit de création par le parti communiste fin des années 80 et s’exile en France à l’âge de 31 ans (1987). Depuis, il a écrit (en français) une trentaine de pièces éditées, et est l’un des auteurs les plus joués à Avignon. Avis aux curieux !
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