L’herbe de l’oubli
Tchernobyl, en Russe, se traduit absinthe, l’Herbe de l’Oubli ... Trente ans après, quelles leçons retient-on de cette explosion ?
Alliant marionnettes et théâtre, L’Herbe de l’Oubli a été conçu à partir de la parole de survivants à la catastrophe, d’habitants proches de la zone d’exclusion en Biélorussie, de scientifiques actifs dans le dépistage de césium 137, de personnes ressources partisanes – ou non – du nucléaire qu’a rencontrés la compagnie Point Zéro.
Le 26 avril 1986, le coeur du réacteur numéro quatre de la centrale de Tchernobyl explose et prend feu, projetant un nuage de radioactivité dont on a retrouvé des traces dans toute l’Europe. Poussières, aérosols et gaz radioactifs (dont le césium et l’iode) sont projetés dans l’atmosphère. Le quatrième réacteur, nom de code « Abri », conserve toujours dans son ventre gainé de plomb et de béton armé, près de vingt tonnes de combustible nucléaire.
L’Herbe de l’Oubli s’inspire de la démarche de récolte de témoignages réalisée par Svetlana Alexievitch (Prix Nobel de littérature 2015) (La Supplication, éditions JC Lattès).
L’équipe est partie en 2017 en Ukraine et en Biélorussie à la rencontre des survivants et de leurs descendants.
Ils les ont interviewés, ils les ont filmés. C’est leur parole qui est donnée à entendre, incarnée par cinq acteurs à la manière du théâtre verbatim. Ce sont ces images qui sont projetées, par intermittence, sur le rideau servant d’écran.
L’utilisation des marionnettes au théâtre est la marque de fabrique de la compagnie Point Zéro (Les
Trois Vieilles et L’Ecole des Ventriloques de Jodorowsky, GunFactory, ...) et apporte à L’Herbe de l’Oubli l’indispensable humanité et la poésie qui permettent de mettre le sujet à distance.
Distribution
Auteur : Jean-Michel d’Hoop assisté de François Regout
Production : Point Zéro en coproduction avec le Théâtre de Poche et la Coop asbl
Mise en scène : Jean-Michel d’Hoop assisté de François Regout
Avec : Léone François Janssens, Léa Le Fell, Héloïse Meire, Corentin Skwara et Benjamin Torrini
Lundi 15 janvier 2018,
par
Catherine Sokolowski
L’ennemi invisible
Tchernobyl a presque disparu de nos mémoires. Et pourtant, des milliers de gens souffrent encore de la catastrophe nucléaire qui a frappé la Biélorussie et l’Ukraine en 1986. Cinq comédiens talentueux s’identifient aux survivants tandis que le texte des voix off s’inspire des témoignages recueillis en 2015 par la journaliste biélorusse Svetlana Alexievitch. Des images vidéo défilent à l’arrière-plan de la scène, montrant les lieux tels qu’ils sont devenus. La nature a repris ses droits sur cette terre polluée pour 100.000 ans. Les marionnettes de la compagnie Point Zéro donnent une dimension toute particulière au spectacle, dans lequel drame et douceur se côtoient. Un très bel hommage aux « gens de l’après ».
Le metteur en scène, Jean-Michel d’Hoop, est également l’auteur de cette œuvre de théâtre documentaire. Trois voyages dans les pays de l’Est ont permis à toute la compagnie d’aller à la rencontre des habitants autour de la zone contaminée. Cette zone, très dangereuse, devenue sauvage, ne semble pas polluée : la dangerosité du nucléaire n’est pas visible. Après la catastrophe, les habitants étaient priés de prendre jusqu’à 5 douches par jour : comment l’expliquer aux enfants ? Comment matérialiser quelque chose qui n’est pas perceptible ? Les « gens de l’après » mangent les produits locaux alors qu’ils ne devraient pas. Ils sont malades et n’ont pas d’argent pour partir. Parmi d’autres, le témoignage touchant de cette dame qui pense qu’elle n’arrivera pas à marier ses filles, celui qui évoque les maladies dérivées de l’absorption du césium 137 ou celui qui rappelle l’abattage massif des animaux hébétés les jours qui ont suivi la catastrophe.
Le travail de la compagnie Point Zéro est remarquable sur plusieurs points. D’abord parce qu’il dénonce le nucléaire en rappelant cet accident à l’heure où les politiciens n’arrêtent pas de ne pas l’arrêter, ensuite parce qu’il fait état d’une situation tragique sans larmoiements inutiles notamment grâce au jeu sobre des acteurs. Enfin, les marionnettes amplifient l’impact des récits au travers de leurs mouvements poétiques et graves accompagnés d’une musique étrange.
Au lendemain de cette terrible catastrophe, un sarcophage recouvre le site de Tchernobyl, d’autres déchets sont enterrés à différents endroits, les villages ont été détruits, les animaux abattus et « la conscience humaine semble avoir capitulé ». Que feront les générations futures de cet édifice macabre ? En Biélorussie (pays le plus touché), l’accident a des retombées écologique, économique, sociale, médicale et politique. Tchernobyl (en russe) signifie absinthe, l’absinthe est une plante vivace et amère : l’herbe de l’oubli. Ce spectacle permet de ne pas oublier, il rappelle les dangers du nucléaire tout en dégageant quelque chose de profondément humain, un beau tour de force. Espérons qu’il soit vu par tous les décideurs et par la N-VA en premier.
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