Samedi 26 janvier 2008

"L’enfant froid" chaudement recommandé !

Il faut certainement que vous vous rendiez au Zone Urbaine Théâtre à une représentation de "L’Enfant froid". D’une pierre, vous ferez ainsi trois coups : vous découvrirez l’écriture dramatique très riche de Marius von Mayenburg ; vous profiterez d’une mise en scène qui a su rendre hommage à cette richesse ; et vous soutiendrez un théâtre qui, au-delà des difficultés financières qu’il peut rencontrer, ne cesse de batailler pour dire, montrer et jouer.

Marius von Mayenburg est né en 1972. Auteur rapidement soutenu et monté par Thomas Ostermeier, il rejoint d’ailleurs dès ’99 la Schaubühne berlinoise où il oeuvre aussi comme dramaturge et traducteur (de Sarah Kane, notamment). Son écriture révèle bien entendu cette inscription dans un monde théâtral résolument contemporain. Ainsi "L’Enfant froid" donne-t-il naissance à 8 personnages - 4 couples - aux perversions bien installées, aux prises avec leurs manques, résolument seuls, incapables de se rencontrer et de se réchauffer. L’option scénographique qui consistes aligner des cuvettes de wc en fond de scène nous apprend, au-delà de l’usage qui leur est réservé durant la pièce, que ceux-là sont dans le creux de la vague, là même où l’on risque la noyade. Parallèlement, l’extravagance de leurs tenues rétro renforce l’aspect fantômatique de leurs existences. Quant à la musique techno qui jaillit dès leur entrée en scène et qui les pousse à se dandiner grotesquement, elle n’est pas là , comme on aurait pu le redouter, pour donner une touche "jeune et trash" à l’ensemble, mais pour rappeler que leurs névroses les dominent.

Là où, néanmoins, la mise en scène impose sa qualité, c’est dans la maîtrise avec laquelle Laurent Capelluto fait face à l’hiatus imposé par l’écriture entre temps du jeu et temps du récit. Les personnages ne jouent pas que ce qu’ils sont en train de vivre. Ils se font surtout les médiateurs de ce qui vient d’être vécu. Le procédé n’est pas neuf mais il n’est pas simple à concrétiser efficacement sur scène. Les huit comédiens sont presque constamment ensemble sur le plateau (et celui du ZUT n’est pas grand...) ; pour tout support : 4 chaises, 6 cuvettes de wc et quelques accessoires. Le spectateur aurait pu s’y perdre et pourtant, la convention théâtrale est exploitée avec tant de clarté, de précision et d’ingéniosité qu’il ne perd pas une goutte de sens de ce qui se passe sous ses yeux. L’espace de jeu prend vie, donne naissance à de nouveaux espaces qui s’imbriquent aisément. Les mises en place, réfléchies et rôdées, assurent une grande lisibilité de l’action. C’est sans compter la direction d’acteurs et, dans la foulée, l’interprétation : tous les comédiens sont également convaincants !

Enfin, il faut applaudir la mise en valeur de tout ce qui, dans le texte, pouvait prêter à rire : ici, le cynisme, le sordide, l’indécent et le désemparé n’ont pas peur de se servir du comique de situation comme attelles. C’est heureux car, si le landau de "L’Enfant froid" n’est pas sans évoquer celui des "Sauvés" de Edward Bond, il fonctionne ici, contre toute attente, comme un frein à la tragédie.