Des passages qui s’ouvrent et se ferment sur des personnages qui disparaissent aussi brusquement qu’ils sont arrivés. Voilà la talentueuse traduction visuelle de l’univers imprévisible de Daniil Harms que nous donne à voir le Théâtre Le Public. Tout le décor n’est que portes et autres trappes d’où déboulent les acteurs pour repartir ensuite en vitesse par une autre ouverture. Et on regarde avec plaisir s’enchaîner des histoires au style décalé.
Les courtes scénettes chères à Harms, où des personnages éphémères viennent et repartent sans prévenir, gagnent beaucoup à ce petit jeu de cache-cache avec la scène. Le mouvement fait ici office de lien dans un univers décousu et ainsi on ne perd jamais le fil de ce qui se passe. Les différentes vignettes données à voir se suivent sans peine malgré l’incohérence assumée du texte. L’espace est utilisé avec intelligence tout au long de la pièce qui, réglée comme un ballet, nous fait passer par une multitude de situations, tantôt légères, tantôt plus sombres.
Voilà pour la mise en scène, mais le texte est lui aussi brillant. Encore rehaussé par la performance des six jeunes comédiens qui construisent avec bonheur un monde irrationnel et souvent terriblement drôle. Ici l’absurde est roi mais ces histoires insensées en disent plus qu’il n’y parait. Sous le vernis de l’humour et de la folie douce, Harms, qui finit ses jours en détention « psychiatrique » sous Staline, décrit une réalité oppressante, parle du totalitarisme qui arrive, de l’immobilisme des conventions, de l’hypocrisie du monde. L’absurde sert encore à montrer la plus grande absurdité de la science, de la violence et du système.
Dans cet imbroglio d’anecdotes, de sentiments, de caractères, de bizarreries et d’humour noir, Bernard Cogniaux et ses comédiens arrivent à tailler leur chemin et à nous garder avec eux du début à la fin. La pièce nous transporte dans un univers où tout est permis et fait oublier les convenances et le sérieux. Et c’est tant mieux pour nous.
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