Le formidable Camille Saint Saens a rendu son dernier souffle et ne veut pas quitter la vie intense et libre qu’il a menée. L’octogénaire se rhabille une dernière fois et son âme, ivre de musique et de désir, virevolte devant nos yeux nous dévoilant ses derniers feux et ses dernières ardeurs.
Le compositeur est ressuscité dans une une mise en scène simple et pleine d’adresse. Elle est signée Sylvie Wilson et convie sur le plateau poésie, rêve et créativité. Avec un lustre, deux cadres de peinture de grands maîtres et un fauteuil de cuir, le tour est joué. Nous suivons avec curiosité toute une grammaire de théâtre d’ombres qui dévoile les passages secrets entre présent et passé. Mais en premier lieu, question de nous replonger dans la magie de l’enfance, ce sont les ombres chinoises faites main Philippe Beau qui nous invitent au voyage imaginaire.
Traquant les moindres frissons de son âme si bavarde, le compositeur attrape enfin une tache de soleil sur l’écran, et tout revit soudainement en dizaines d’éclats lumineux. Il danse et embrasse ses émotions, déroulant devant nos yeux tout l’invisible de sa vie passionnée. La grande salle est plongée dans un silence respectueux et parfait. Mais son alarme de la mort est si glaçante qu’elle prend à la gorge : où est le soleil ? où sont les fleurs ? C’est la fin, le froid et l’implacable solitude. On veut essuyer les pleurs de l’homme qui nous quitte. L’artiste qui interprète ce rôle prodigieux est Thierry Hellin. Textes de Sylvain Coher.
On a tous aussi bien sûr la magie de la musique avec dans l’oreille au moins l’un de ses nombreux « tubes » : le célèbre Carnaval des animaux, la Danse macabre, la Troisième symphonie avec orgue, ou la Bacchanale de Samson et Dalila, et c’est le magnifique ensemble Kheops qui peu à peu, traverse les miroirs du temps, se révèle à nos yeux et dialogue avec le compositeur. Une merveille. De même que les costumes (Caroline Sanvoisin), dignes de grands maîtres de la peinture qui habillent Marie Hallynck au violoncelle, Ayako Tanaka au violon , les deux partenaires du célèbre Muhiddin Dürüoglu, maitre des arrangements musicaux au piano.
Compositeur le plus joué de son vivant, Camille Saint-Saëns a composé près de 600 œuvres, il s’est illustré dans tous les genres musicaux, il est l’auteur de 13 ouvrages pour la scène lyrique dans l’ombre de Samson et Dalila, mais il a composé la première musique de film de l’histoire du cinéma. Il a été le témoin des créations de Faust, de Carmen, de Louise, de Pelléas et Mélisande et du Sacre du Printemps, il a rencontré Berlioz et Rossini, il a survécu à Debussy, il est là quand Ravel ou Stravinsky arrivent sur le devant de la scène. Il est l’un des plus grands pianistes de son temps, un interprète à la virtuosité et à la mémoire inégalées dont chaque apparition sur scène est un événement. Il est aussi un organiste prodigieux – le meilleur du monde, selon Liszt. Durant près de 80 ans d’une carrière ininterrompue. Saint-Saëns voyage de Buenos Aires au Caire donne des milliers de concerts, dirige des orchestres, assiste aux répétitions de ses œuvres scéniques et ne cesse de composer. Il est partout, et donc on comprend sa sainte colère quand on ne semble retenir de lui que Le carnaval des animaux. Juste fureur de celui à qui on enlève la fureur de vivre !
Illustre voyageur à l’esprit curieux et à l’oreille attentive, il se veut passeur de culture entre sphère latine et germanique, entre Orient et Occident, entre musique du passé et de l’avenir. ll est libre … Max ! Et c’est le souffle de cette liberté qui enchante tout au long du spectacle.
Crédit photo : © Leslie Artamonow