Pour transformer l’oeuvre foisonnante d’Homère en un spectacle nerveux, passionnant, il s’appuie sur un scénario clair et un dispositif scénique très ingénieux. Un immense tunnel, truffé de portes coulissantes et des projections efficaces nous font passer en souplesse d’un univers à l’autre. Ambiance délétère au palais d’Ithaque. Panique dans la caverne du cyclope ou sur le pont du bateau chahuté par la tempête. Farniente insidieux sur l’île de Circé.
Cependant la pièce ne se réduit pas à une succession de tableaux impressionnants. Homère (8e siècle avant J.C) dépeint des personnages qui apprennent à survivre. Il y a vingt ans qu’Ulysse a quitté Ithaque, pour combattre les Troyens. Espérant toujours son retour, Pénélope tient à rester fidèle à l’homme qu’elle aime. Elle résiste au pessimisme de sa belle-mère Anticlée, aux insinuations sur les frasques de son époux et aux avances de prétendants corrompus. Elle trompe astucieusement leur impatience, mais Antinoos, leur chef, se montre de plus en plus pressant. Pénélope a reporté toute sa tendresse sur son fils Télémaque. En le couvant, elle l’empêche de prendre confiance en lui. Il faudra la fermeté d’Athéna et le courage de son père, pour qu’il devienne un homme.
Pour échapper avec ses compagnons à la cruauté de Polyphème, le cyclope, ou pour résister aux chants des sirènes, Ulysse utilise son arme favorite : la ruse. Ce guerrier habile est aussi un homme sensible, capable de pardonner une faute grave à un matelot et fragilisé par la nostalgie des siens. Certes, il a succombé au charme de la magicienne Circé. Mais quand celle-ci lui promet l’immortalité, s’il reste avec elle, il refuse le marché. Pourtant il ignore que Pénélope l’attend.
La plupart des dieux sont affublés des mêmes défauts que les hommes. Leur insolence, leur susceptibilité, leur rancune, tournées en dérision, apportent des éclats d’humour qui, comme les anachronismes, allègent ce récit dramatique. Hermès aux baskets ailées déboule régulièrement, comme un chien dans un jeu de quilles. Singeant l’animateur de "Questions pour un champion", il met en boîte les érudits en mythologie. Dieu espiègle, il multiplie les jeux de mots et électrise la scène. Un rôle sur mesure pour Othmane Moumen, toujours aussi feu follet. Son impertinence lui vaut les remontrances d’Athéna ange gardien, campée avec autorité par Karen De Paduwa. Bien sûr, quelques plaisanteries ne volent pas haut. On peut se pincer le nez, en entendant Eole, le dieu des vents, se plaindre de son aérophagie. Mais il est difficile de résister à la parodie de "The Voice", qui transforme les sirènes en candidates virées.
Tout en prenant des libertés avec l’épopée d’Homère, Thierry Debroux nous en rapproche. Le slam qui ouvre chaque partie fait écho aux vers psalmodiés par les aèdes. Comme leurs auditeurs, nous sommes confrontés à la condition humaine, en suivant le voyage initiatique d’Ulysse. Et cette leçon de vie nous est offerte dans un spectacle très maîtrisé, où cohabitent drôlerie et intensité dramatique. Les cochons de Circé sont croquignolets et la bataille magistralement chorégraphiée nous coupe le souffle. On apprécie la détermination de Pénélope (Sandrine Laroche) qui tient tête au sinistre Antinoos (Lofti Yahya) et on admire le punch d’Ulysse (Laurent Bonnet). Mais c’est la prestation de toute la troupe (23 comédiens) qu’il faut applaudir joyeusement.
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