L’Institut Benjamenta
Simon Tanner, dans Les enfants Tanner, ne faisait que raser les murs et passer par des trous. Il ne voulait prendre sa forme définitive que le plus tard possible. Jacob, dans L’Institut Benjamenta, pousse la logique encore plus loin : n’ayant, en définitive aucun but pour lui- même, il désire ne plus se régler que sur les intérêts d’autrui pour s’annuler au profit du service. Et de fait : en se soumettant corps et âme au règlement rigide de l’Institut, il retrouve un accès paradoxal vers une vie non encore étouffée par la possession et par la contrainte. Jacob, dont le rêve, en fin de compte, serait d’être un zéro tout rond, et l’Institut Benjamenta, dont la vocation est de fabriquer des zéros à la chaîne, s’accordent parfaitement l’un à l’autre.
Mise en scène : Nicolas Luçon / Assistanat à la mise en scène : Julien Jaillot / Aide à la dramaturgie : Denis Laujol / Scénographie : Stéphane Arcas / Costumes : Claire Farah / Lumières : Matthieu Ferry / Avec : Stéphane Arcas, Sébastien Fayard, Julien Jaillot, Denis Laujol, Nathalie Mellinger, Benoît Piret, Lotfi Yahya Jedidi.
20h30 sauf mercredi à 19h30. Relâche dimanche et lundi. 10/7,50 euros. 02 216 75 55
Journée-Rencontre le 26 mars : En marge des représentations, cette Journée- Rencontre sera l’occasion de découvrir le travail des élèves du Lycée Émile Max autour de L’Institut Benjamenta, issu de l’atelier Anim’action mené par Guillemette Laurent. Cette présentation sera suivie d’un micmac walsérien : lectures d’extraits de et autour de Robert Walser, découverte des matériaux qui ont nourri la création de la pièce,...
Vendredi 10 mai 2013,
par
Blanche Tirtiaux
L’institut fantasmagorique
L’institut Benjamenta, c’est au départ un roman de Robert Walser. Un roman qui intrigue par sa délicieuse étrangeté, et dont l’adaptation théâtrale par Nicolas Luçon, reprise cette semaine au théâtre Océan Nord, rend avec grâce hommage à ce poète suisse schizophrène en traduisant sa prose délicate dans un onirisme visuel et atmosphérique à nous faire frémir de bonheur.
Robert Walser mourra au cours d’une promenade dans la neige un jour de Noël 1956, après 17 ans d’internement psychiatrique. Ce destin de vie singulier permet peut-être d’illustrer combien l’auteur intrigue et transporte à la fois, comme dans son roman l’Institut Benjamenta où il dépeint l’univers décalé d’une école qui a pour vocation de former à la domesticité mais de laquelle tous les professeurs semblent avoir disparu, et où Jacob von Gunten, héros de l’histoire, fait son entrée en jeune homme naïf.
La langue de Walser est splendide. On se délecte de ces mots qui semblent tous choisis avec une préciosité infime. Comment parvenir à adapter ce texte infiniment poétique au théâtre, à le mettre en espace, en mouvement, en images sans le déforcer ? En voyant l’adaptation de Nicolas Luçon, on saisit que malgré la difficulté du travail de mise en scène, la magie qu’il dégage lorsqu’il est réussi en vaut la chandelle.
L’institut Benjamenta est un espace flottant, un espèce de non-lieu fantastique où se côtoient des personnages fantasmatiques et bizarres mais terriblement attachants. C’est en premier lieu par le choix des acteurs et la direction de ceux-ci que se déploie sur le plateau l’authenticité de l’univers walsérien. Des comédiens justes qui évoluent dans l’espace scénique avec une subtile mesure et une sobriété épatante, qui nous touchent tant par l’humour des situations absurdes que par la fragilité des êtres. Saluons au passage l’intervention sans faille des trois protagonistes principaux : Benoît Piret sous les traits de Jacob von Gunten, Lotfi Yahya Jedidi comme terrible directeur Benjamenta, et Nathalie Mellinger incarnant la sœur de ce dernier.
Tout semble à demi-teinte dans cette école dévastée, on oscille entre le rêve et le cauchemar sur une scène embrumée dans les tons gris-bruns, on se complaît dans cette ambiance crépusculaire à la fois drôle et terriblement inquiétante où les images percutantes dans leur esthétique dépouillée nous imprègnent.
Contradictions, conversations sans queue ni tête, interventions incongrues : tout est en pensé en finesse pour rendre compte de l’univers complexe de Walser, pour nourrir cette innocente noirceur qui fait frisonner. On pourrait dire que la richesse du spectacle est ce finish in touch, où chaque détail semble à sa place pour contribuer à la création du songe poétique, pas un mot, pas un pas de trop, des détails choisis avec soin, des acteurs tous parfaits, aussi discrets soient leurs rôles.
En résulte un spectacle sur le fil, surréaliste mais tellement sincère dans cette fragilité qui nous lie à la vie, et qui nous donne accès enfin à ce que le théâtre à de plus beau à nous offrir : une petit bout d’humanité.
Blanche Tirtiaux
Lundi 28 mars 2011,
par
Catherine Sokolowski
L’absence d’existence en guise d’exutoire
L’institut Benjamenta forme de futurs domestiques. D’allure sombre et sévère, ce lieu se révèle étrange et décalé. Les dialogues naïfs et absurdes étonnent de prime abord, séduisent ensuite. Les personnages, très typés, prennent en charge la formation de Jacob von Gunten, nouvel élève, dynamique et motivé. L’adaptation progressive de Jacob à ce nouvel environnement s’avère rapidement passionnante.
La mise en scène de Nicolas Luçon organise le monologue de Robert Walser, écrivain suisse du début du 20ième siècle, en dialogue à sept. Il y a Jacob, le directeur, sa sœur : Melle Benjamenta, Kraus, et trois autres condisciples. Interprétations brillantes. L’ambiance cadre parfaitement avec les textes bien qu’aucun décor ne soit utilisé. Les jeux de lumière (Mathieu Ferry) sont discrets et percutants. Ils reflètent parfaitement le climat angoissant de l’intrigue.
Assez ésotériques, les échanges ne sont jamais anodins. Nous sommes dans un monde onirique riche en métaphores. Le roman initial date de 1909 mais il est intemporel. Histoire de l’(in)adaptation d’un être à son environnement. Tantôt soumis, tantôt révolté, Jacob bascule d’un comportement à l’autre. Lentement mais sûrement, il devient docile, ayant goûté à l’impossibilité de trouver la sérénité dans une ambiance faite de perpétuels conflits.
Kraus, condisciple de Jacob, symbolise le parfait majordome. Toujours d’accord, toujours docile, il est insignifiant. L’institut serait donc une sorte d’asile pour ceux qui ne trouvent pas leur chemin, un lieu dans lequel la soumission et le néant deviendraient une fin en soi. Ce spectacle se présente comme un conte de fée moderne suscitant une réflexion sur le rôle et la place de l’individu dans la société. Avec humour et candeur, avec sérieux et conviction.
8 Messages