"Ca commence par un choc. Tête contre le volant, au milieu de la route". Elisa, 29 ans, vient de percuter une immense panthère. Pétrifiée, elle tente de reprendre la route, mais cette collision déclenche une remontée de souvenirs. Elle se retrouve, à dix-sept ans, prisonnière d’un malaise envahissant, qui l’oblige à renoncer à de brillantes études. Elle revoit aussi la fillette de quatre ans, blessée dans un jeu d’enfants. Elisa décide de ne pas rentrer chez elle. Pourtant, ce soir, elle devrait fêter les quatre ans de sa fille Jade. Mais elle a besoin de lâcher prise. Soutenue par la musique entraînante de Jérémy David, elle prend la direction du sud. Quel sud ? Peu importe. Le moteur crache une fumée noire, des poils de panthère puis rend l’âme. Elle repart vers "la" mer. Il lui faut un "ailleurs", pour raconter ce qui l’a coupée du monde et ... se découvrir.
Elisa est impénétrable. Son corps souffre de vaginisme. Lassée d’être auscultée, analysée par une flopée de spécialistes, elle se défoule, en débitant le jargon médical qui décrit cette pathologie. Son esprit, lui aussi, se refuse au partage. Incapables de lire dans ses pensées, ses parents, qui voudraient l’aider, avouent leur impuissance. Lorsque ses copines, qui prennent plaisir à confronter leurs expériences sexuelles, l’invitent à témoigner, Elisa cache sa honte par une plaisanterie. Pendant quatre ans, "l’amoureux" lui fait espérer par sa patience, par sa douceur qu’elle pourra surmonter ses frustrations. Et puis découragé, la quitte. Une question la taraude : pourquoi continuer ? Guettée par la dépression, elle se bat, change de thérapeutes, de méthodes. Certaines comme l’E.M.D.R. ont l’air farfelu. Pratiqués avec persévérance, les exercices de kiné pelvienne lui redonnent espoir...
Maîtrisant remarquablement un texte qui mêle cris du coeur, observations ironiques et images surréalistes, Angèle Baux Godard mène le jeu fougueusement. Elle ne se penche pas avec complaisance sur son drame, mais le revit crânement. On se laisse emporter par sa vitalité et son désir d’aimer. Cependant les passages poétiques, oniriques créent une distanciation. Tout comme la présence du musicien. Jérémy David joue le rôle d’un ami imaginaire, un partenaire de résilience. Par sa bienveillance, il confirme que l’on s’en sort par l’altérité. Ses interventions musicales pimentent le récit, suggérant des bruits de voiture, la traversée d"une forêt ou... les battements du coeur d’Elisa. La mise en scène fluide de Clément Goethals fait également appel à l’imaginaire du spectateur, aux symboles. Pas de décor concret, sauf sur le sol, un carré blanc qui deviendra le cadre du dévoilement.
Ce spectacle brille par sa délicatesse. Même si elle est révoltée par le silence et l’ignorance qui pèsent sur le vaginisme, l’auteure ne se lance pas dans des revendications féministes. Son témoignage sans fausse pudeur révèle sa fragilité et son courage. Face au gouffre, Elisa est saisie de vertige, mais elle s’accroche à la vie et aux autres. Son passé douloureux s’estompe, lui permettant de rêver au bonheur de Jade.
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