Prénommée Suzan, issue d’un milieu populaire telle une bonne âme de Sichuan, la jeune héroïne se sent vide et sans avenir, sauf de rester coiffeuse, assister à des match de foot ou de karaoke, pondre des gosses, et n’avoir de choix que la poudre à lessiver. Sur ce, elle prend ses ciseaux mythiques pour dépecer sa vie totalement insignifiante. Couper, changer – devise des coiffeurs - et commence par changer de prénom pour s’appeler l’étudiante RITA, et rêver d’un avenir où enfin, elle aurait le choix.
Car c’est ce mot magique « Change » comme les pétitions en ligne bien connues… qui la fait rêver ! Son intuition lui fait comprendre que seul le changement intérieur fait avancer et vivre plus pleinement. Son arme pour faire d’elle même une « self-made woman » sera l’éducation, la culture, l’appropriation d’un discours construit et argumenté. Elle ne veut pas mourir et être enfermée comme sa mère dans une chanson sans espoir, sans horizon. Elle a capté que seule l’éducation est porteuse d’avenir. Elle suit la morale de Trainspotting : Choose Life ! Elle ne veut pas être un ectoplasme qui se suffit de fumées, de pain et de jeux.
Donc elle s’inscrit à un cours… universitaire avec un très émouvant Michel de Warzée qui joue Frank, le professeur bordélique qui se console régulièrement de la vie et de ses espoirs avortés de devenir poète, avec des bouteilles disséminées dans son imposante bibliothèque où trône un nu érotique. Au départ fort peu enclin à être dérangé, il est finalement ravi de cette bouffée d’air inespérée. Il lui donnera tout, comme le sculpteur Pygmalion amoureux de sa statue Galatée… avec les risques du métier ! Un personnage complexe à interpréter, se partageant avec grande délicatesse entre le personnage du professeur adulé et son attachement émotionnel et sexuel grandissant pour son étincelante protégée. Ah ! les « Métamorphoses » d’Ovide !
Et quel potentiel, Stéphanie Moriau ! Elle « fait » à peine les 29 ans de la jeune délurée. Elle navigue comme une cascadeuse entre les désespoirs et les rires, jongle avec les défis culturels, brûle les étapes pour se faire naître à la personne dont elle rêve. Et quel exemple pour les jeunes inconscients calés dans leur apathie et leur confort consumériste !
Frank, le prof, est abasourdi et se met à réveiller ses propres affects, et à caresser son rêve d’écriture retrouvé. La jeune effrontée débarque comme une bombe spirituelle chez lui et fait voler ses routines en éclats, ouvre les fenêtres, donne de l’air, pourfend ses amertumes accumulées, change dix fois de coiffure, de tenues, de styles, se cherche avec une opiniâtreté qui finit par énergiser chaque spectateur à la suivre dans son itinéraire de changements. On ne peut pas changer le monde, mais soi-même, bien sûr que oui ! La connaissance de soi passe par l’art et la littérature. Shake it ! Elle reçoit et apprend tout de son tuteur, se met à faire des liens, découvre avec stupeur et ravissement une image du monde où tout est lié, va au théâtre, tombe amoureuse de Shakespeare, et revient, quand la culture l’a métamorphosée, à son prénom originel ! Dans le personnage intense et explosif de Rita, Stéphanie Moriau assume pleinement le Credo du changement et du libre choix, galvanise un public invité à faire fondre à son tour, ses peurs, ses limites, ses barrières. Pari gagné !
Cette superbe pièce de Willy Russel est aussi indispensable que le sel dans les pommes de terre, précipitez-vous, et dégustez ce remontant tonique si votre moral est au pessimisme et à la grisaille. L’humour de la midinette intelligente et au moral d’acier est décapant, côté rénovation elle en connait un brin ! Voyez-le comme une cure salutaire de jouvence. Que vivent donc les métamorphoses et non les sinistroses ! Comme disait mon grand-père normand : « Debout les crabes, la marée monte ! »
Dominique-Hélène Lemaire