A l’aide d’anciennes illustrations, un conférencier vif et jovial nous remet en mémoire les premiers grands moments de l’histoire de Belgique. Une remontée dans le temps, qui vise à exhumer "l’âme belge". Tout à coup, elle lui fait face : c’est une femme élégante qui, après s’être débarrassée des ses attributs guerriers, lui explique qu’elle répond à un appel : "La Belgique est devenue fou". "Fou" et pas folle, insiste-t-elle.
L’historien devient son partenaire et lui donne la réplique dans "La Muette de Portici". En chantant des airs de cet opéra, ils évoquent l’exaltation patriotique, qui saisit les spectateurs bruxellois de 1830. Une fièvre révolutionnaire qui allait donner l’indépendance à la Belgique. Puis les complices se passent le relais, pour confronter différentes versions de la Brabançonne ou revendiquer le droit à l’existence des accents, des dialectes et des belgicismes. Est-il grave d’acquiescer par des "Non peut-être ?"
Cependant la "bravitude" des Belges, saluée par Jules César, ne confère pas une âme commune aux Eburons, aux Nerviens et aux Aduatiques. Contrairement aux Russes qui ont "l’âme slave". L’historien se rebiffe et combat avec de plus en plus de virulence ce mythe, auquel ses chantres, Louis Delattre et Henri Pirenne, ont renoncé. Appelant à la rescousse les poètes de La Jeune Belgique ou l’architecte Horta, la dame résiste. En vain. La confrontation tourne au dialogue de sourds entre une fervente admiratrice de la culture belge et un observateur sarcastique d’une Belgique déliquescente.
Nicole Colchat évite les clichés, les querelles politiciennes et... l’ennui, que pourrait provoquer un sujet aussi complexe. Avec Gaël Soudron, elle forme un duo plein de vitalité, qui amène les spectateurs à se divertir, en s’interrogeant sur les racines et la spécificité d’un pays menacé d’implosion. Le décor joyeusement bordélique le suggère : Eric De Staercke ne se prend pas au sérieux. Sa mise en scène dynamique et malicieuse est inspirée par "l’âme belge", "cette force de dérision qui nous permet de créer avec modestie, respect et générosité."
Pourtant, on regrette la longueur du préambule historique : il s’attarde sur plusieurs éléments, développés ensuite. Et on subit une "Muette de Portici" fort envahissante. On peut ressentir la vigueur d’ "Amour sacré de la patrie", en ignorant les malheurs d’Elvire, de Massaniello et de Fenella. Dans "Il était une fois la Belgique" (montée en 2009 à la Comédie Claude Volter), Patrick Roegiers ranimait une Belgique évanescente, en réchauffant avec émotion ses souvenirs. La démarche voisine, proposée par "L’Ame belge", laisse un goût plus amer, mais se termine par une pirouette amusante. Autodérision oblige.