Librement inspiré du documentaire de Clément Cogitore, Anne-Cécile Vandalem livre le dernier volet de sa trilogie sur la fin de notre civilisation. Situé au fond de la taïga sibérienne où la famille Braguine vit en autarcie, le film de Cogitore met en scène un conflit, celui d’une famille ayant fait le choix du respect de la nature et en face, leurs cousins venus les rejoindre avec une philosophie très différente puisqu’ils braconnent et troublent la paix avec leurs hélicoptères et leurs fusils. La rivalité s’est définitivement installée et les deux branches de la famille vivent désormais chacune dans leur enclos.
Tout en respectant le canevas du film, Anne-Cécile Vandalem va plus loin en brouillant les pistes.
Comme dans « Braguino », on ne voit pas « le camp ennemi », tout est perçu du point de vue des Braguine, trois générations bercées par une légende inventée par Philippe, le patriarche, sur une fiction animiste et dans un esprit de caste. Mais la jeune génération, celle des petits-enfants est déjà plus rebelle et met en doute les questions de responsabilités. La ligne de démarcation entre les deux clans est franchie, la jeune ado de la famille escalade régulièrement, et à l’insu de tous, la palissade qui sépare les deux propriétés pour rejoindre son amoureux en territoire interdit.
L’esthétique est impeccable : décor de carte postale, éclairage tamisé avec jeux d’ombres, musique tribale (Pierre Kissling et Vincent Cahay), rites dansés et chants aux accents slaves, tout nous plonge dans un monde fantasmagorique. Et puis il y a l’équipe de réalisation... Car l’histoire est racontée à une équipe de cinéma venue à la rencontre de cette famille d’ermites et de leur rêve utopiste. Le film projeté au-dessus de ce décor aux confins du monde nous introduit dans l’intimité du foyer et révèle une part des secrets de chacun. Cette écriture cinématographique en contrepoint, Anne-Cécile Vandalem l’utilise dans sa trilogie pour « donner à voir celui qui écoute plutôt que celui qui parle » alors que « le théâtre force à être attentif à celui qui fait le plus de bruit ». Elle invite ainsi à une double lecture de cette fable entre réel et imaginaire et nous propulse hors du charme d’un cadre idyllique pour pénétrer l’envers plus concret d’un quotidien moins enviable.
Il faut saluer l’extraordinaire présence des comédiens professionnels ou non, le jeu impeccable des enfants... et la discipline sans faille des chiens sur scène.
Un spectacle dépaysant, enchanteur, et qui suscite la méditation.
Palmina Di Meo
Crédit photo : Christophe Engels