On avait découvert le culot de Lee Hall dans "La Cuisine d’Elvis", une comédie provocante, cruelle et tendre, qui avait enthousiasmé le public du Zut, en 2005. Cette fois, son audace consiste à nous proposer le monologue d’une fillette autiste, atteinte d’un cancer. Tout comme Eric-Emmanuel Schmitt, l’auteur d’"Oscar et la dame rose", il était menacé par le piège du mélo. S’il l’évite parfaitement, c’est parce qu’il s’efface derrière la personnalité de son héroïne, déconcertante par sa simplicité et son stoïcisme. En donnant par ses paroles d’enfant sa vision clairvoyante des gens et des choses de la vie, elle nous fait sourire parfois et nous émeut énormément, mais sans le vouloir. Ainsi la musique d’opéra est merveilleuse, parce qu’elle accompagne "les belles morts des reines". Pas de commentaires affectueux sur le drame vécu par ses parents, mais des faits relatés objectivement qui permettent de le reconstituer. Aucun apitoiement sur l’évolution du traitement de son cancer, mais des constats lucides, parfois grinçants.
Le décor est réduit : un sommier, un drap étalé et l’amorce d’un escalier. Cette ouverture vers le monde extérieur s’éclaire parfois...La vie continue ! Le plus souvent couchée ou assise, Face de cuillère, surnommée ainsi à cause de la forme de son visage, se déplace parfois avec difficulté, comme si elle cherchait une position plus confortable. Sa raideur est le seul signe de sa maladie.
Totalement habitée par son personnage, Deborah Rouach n’interpelle pas le public. C’est lui qui, subjugué par ce texte intérioroisé, la rejoint. Quand elle explique sa conception du rôle de la prière, puis qu’elle s’efforce de répondre aux questions posées par la mort, le monologue gagne en intensité. Intensité que les éclairages délicats et bien pensés soutiennent efficacement.
Le jury des Prix du théâtre a vraiment été bien inspiré en distinguant ce spectacle bouleversant de sobriété.