Elevée par son père dans le culte de la bintje, Julie participe efficacement au développement de la friterie. Comme tous les membres de la famille. Bien sûr, l’odeur des frites est tenace et pour un de ses profs, les marchands de frites sont des ratés. Ce mépris la blesse, mais ne la fait pas dévier de sa voie. Pour se distraire elle chante dans les karaokés et les kermesses. Commerçant ambitieux, le papa transforme l’entreprise familiale en "empire friturier". 52 baraques sur le circuit de Spa-Francorchamps ! Installée au virage de l’Eau rouge, Julie boit les commentaires d’un spectateur passionné. Seuls les pilotes audacieux osent rouler à fond dans cette portion de route : le crash ou l’extase ! Une formule qui réveille le goût du risque chez l’adolescente. Tournant le dos à un avenir rassurant, elle se décide à affronter le monde fermé de l’art lyrique.
Pour apprendre à connaître son appareil vocal ou à maîtriser sa voix naturelle, les professeurs de conservatoire utilisent un vocabulaire technique, difficile à apprivoiser. Certains écrasent Julie de leur savoir ou exercent une autorité tyrannique. Elle doit aussi subir l’égo surdimensionné d’un maestro allemand. Les auditions sont empoisonnées par la jalousie entre les rivales ou par les préjugés. Pas question de chanter du Franz Lehar. Ne confondons pas opérette et opéra ! Julie fait le dos rond et entame une carrière prometteuse. Déçu qu’aucun enfant ne reprenne la friterie, son père se fait une raison et l’incite à "être la meilleure". Voulant la couver, il se montre envahissant. Chanter la Brabançonne devant le roi ou s’inscrire au concours Reine Elisabeth sont ses priorités, qu’il cherche à lui imposer. Julie lâche du lest, mais défend sa liberté avec détermination.
Cette biographie romancée mêle étroitement chanson, narration, séquences actuelles et...flash-back. En fond de scène, des rideaux semi-transparents forment un labyrinthe, d’où émergent des personnages qui revivent certaines scènes. Des éclats de mémoire. Au coeur du spectacle, le pianiste Johan Dupont soutient l’action avec fougue et nous amuse par sa décontraction et sa complicité avec une chanteuse éclectique. La musique est son oxygène. Pour illustrer son itinéraire, la cantatrice zigzague avec aisance de "Eye of the tiger" (Rocky) à Mozart, de Starmania à "La Bohème" de Puccini, d’Abba à Franz Lehar ou de Whitney Houston à Carmen. Comme un caméléon, François-Michel van der Rest esquisse différents personnages, qui ont marqué son parcours. Didier de Neck incarne un friturier enthousiaste et un père chaleureux mais trop protecteur. Dommage que l’auteur souligne lourdement son paternalisme, dans des répliques moralisatrices redondantes.
"Juke-box opéra" équilibre astucieusement brillantes prestations vocales et confidences attachantes. Avec simplicité, Julie nous fait comprendre que pour atteindre son rêve, elle a dû surmonter humiliations, doutes et échecs. Sa motivation et sa combativité sont les clés de sa réussite. Elle aime ressentir des émotions lyriques ou incarner des héroïnes au destin tragique. Cependant elle vit sa passion, sans renier ses origines ni sombrer dans l’élitisme. Chanter l’opéra la rend heureuse, mais elle n’est pas prête à jouer les divas.