"Tout va bien". Le Blond, la Blonde et la Blondinette pratiquent la méthode Coué. Ils vivent tranquillement dans un cocon bien propre, mais ont besoin de se répéter cette phrase rassurante, car ils ont peur de tout. Un passant, surtout s’il a l’air inoffensif, est une menace. C’est peut-être un prédateur sexuel. On devrait renforcer la barrière et aussi signaler à la police que la voiture est garée près de l’entrepôt. Elle risque d’être griffée, vandalisée, transformée en voiture bélier. Relayant son père, la Blondinette imagine que des jeunes la volent, pour partir à la mer et écrasent un pauvre piéton... Des ennuis pour "les honnêtes citoyens", conclut le papa. Les rapports familiaux sont parfois tendus. Le Blond pique une sainte colère, en revenant du restaurant recommandé par sa belle-mère. On a refusé de lui servir du porc ! Et sa femme ose excuser sa mère, sous prétexte que cette gargote est "tendance". Lorsque la Blonde est attaquée par un mystérieux virus, il ne la plaint pas, mais redoute la contagion. Il est déçu aussi par sa fille : pour devenir mannequin, elle renonce au porc. Cependant soudés par les mêmes frustrations, les mêmes rancoeurs, les Blonds partagent le même rejet de l’Autre. La mère dénonce les comportements suspects, dans des lettres adressées au commissaire de police. Le père aimerait que ses impôts, payés loyalement, ne nourrissent pas la racaille et les parasites. Et la fille rêve de Charles Martel, vainqueur des Arabes.
Ce chef déterminé et rassurant, elle le rencontre dans un meeting. Pleine d’admiration, elle pousse ses parents à lui faire confiance. L’ombre d’Hitler les rend hésitants. Mais ils se laissent gagner par l’exaltation de leur fille. Ils imaginent son irrésistible ascension politique. Pourquoi pas présidente ? Blondinette couche ses parents et commence à raconter l’histoire de Blanche-neige Démocratie, qui, pour nourrir les sept nains au chômage, faisait la pute. Au grand dam de la sorcière Facho, furieuse de la voir se sacrifier pour des fainéants lubriques. En croquant la pomme, Blanche-neige Démocratie propulse les Blonds dans un univers, où des gens de souche se gavent de bière et de cochonnailles. Rêve ou cauchemar ?
On ressent un net décalage entre cette version déjantée de Blanche-neige et la comédie satirique. La plume acerbe de Jean-Marie Piemme offre à Stéphane Vincent l’occasion d’incarner un raciste ordinaire, avec une justesse désarmante. Obsédé par la blondeur, il ne supporte pas la repousse des racines noires, "sales et suspectes" dans la chevelure de sa femme. Ce fils et petit-fils d’éleveurs de porcs se sent "humilié, blessé à mort", dans le restaurant interdit au cochon. Il faut l’écouter se souvenir des gorets, avec lesquels il jouait ou de la truie, qu’il tuait avec amour. Très en verve, l’auteur mêle allègrement envolées brillantes, dialogues cinglants, coups de griffe et répliques déconcertantes.
Cette première partie, d’une drôlerie irrésistible fait de l’ombre à la seconde, qui repose avant tout sur le défoulement et le comique visuel. Blonde pétulante, Joëlle Franco se déchaîne dans l’oberbayern. A la fois narratrice et Blondinette, Elisabeth Karlik mène le jeu avec détermination. Le décor (un caisson où s’imbriquent deux canapés et deux fauteuils) permet au metteur en scène, Fabrice Schillaci de varier les angles de vue et de dynamiser la succession de scènes brèves. Tournant sur lui-même, le nid douillet devient un manège, qui ramène les Blonds à leurs racines.
La bête est revenue. Dans son film "Chez nous", Lucas Belvaux démystifie l’image respectable qu’essaie de s’acheter le "Bloc patriotique". En misant sur un comique féroce et jubilatoire, "Jours radieux" s’oppose aussi à la dédiabolisation de l’extrême-droite. Espérons que les applaudissements très nourris, mérités par ce spectacle, reflètent également une condamnation des discours de haine.
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