Quand on parle d’amour, rien n’est tabou. Quand Jocaste parle d’amour, elle se décline, dévoile une sensualité aux couleurs multiples. Sous les prises à partie d’un commentateur détective, l’énigme humaine, bien plus opaque que celle du Sphinx, est fouillée dans ses détours "un peu louches… very louches". Car c’est bien de recherche de la vérité qu’il s’agit, celle que nous voulons cacher à nous-mêmes, sur les traces d’Œdipe "pieds enflés".
Dans une langue actuelle, "adolescente" par endroits, qui fait mouche à tous les coups se jouant des phrases toutes faites, le texte butine les mots crus de la sexualité et de l’interdit, tendu par un humour diffus, la poésie des chants de femmes, l’écorchure des sons rauques de la contrebasse.
La mise en scène de Serge Demoulin épouse à la perfection cette dramaturgie, construit un gynécée où les secrets se transmettent dans le jeu espiègle des rivalités féminines au milieu desquelles Œdipe, roi et victime, n’en finit plus de se chercher. "Aurait-on jeté le bébé avec l’eau du bain ?" Le décor épuré nous plonge tout habillé dans cette intrigue matricielle.
Neuf comédiens fraîchement sortis du Conservatoire Royal de Bruxelles servent avec brio cette descente au cœur des identités. On y retrouve le thème cher à Nancy Huston, celui de l’abandon. Jocaste, enfant délaissée, tire la corde sensible de la séparation violente de la mère avec son enfant et nous sommes pris au jeu… si fort que le public de jeunes adultes réserve un véritable triomphe à cette fable éternellement moderne.