- Jean-Louis Leclercq
Depuis toujours tu écris tes seul en scène, mais tu écris aussi des textes pour d’autres [1]. J’avoue ne pas trop savoir comment te présenter : comédien, humoriste, auteur, chroniqueur, bateleur ? En un seul mot comment te définirais-tu ?
En un seul mot ? Créatif : Je peux justifier ma réponse, parce que je trouve que le boulot que j’ai, je le dois essentiellement à moi-même ; c’est moi qui crée, c’est moi qui produis, c’est moi qui joue. Je suis aussi quelqu’un qui parviens à faire aboutir ses projets. Sinon oui, je fais essentiellement dans l’humour, mais en même temps, tu verras que dans mon dernier spectacle Ne me dessine pas un mouton , j’ai mis des choses plus émotionnelles, plus personnelles, de choses qui me tenaient à cœur. Cela n’a rien à voir avec Ça suffit Mathilde ou avec Les Nouvelles de l’Espace . Donc je pense avoir quelques facettes de création.
- Jean-Louis Leclercq
Ton parcours professionnel à vol d’oiseau ?
D’abord un diplôme de régent littéraire, pas de quoi pavoiser… On était dans la mouvance ’68 et on faisait des spectacles très intellos et très chiants. J’en ai fait 3 avec une troupe qui s’appelait Ourva. Il y eut une relecture de Phèdre : Intro Phaedra qu’on a joué à l’XL Théâtre ; après cela un spectacle Même plus une voix pour hurler sur des textes d’Antonin Artaud. On était à 5 comédiens, tous rasés et on donnait rendez-vous aux spectateurs dans un certain lieu, puis on les emmenait dans une camionnette maquillée en ambulance vers un endroit qu’ils ignoraient près de la gare du midi : Art et Buffet et cette mise en condition ce n’était pas mal. Au 3ème spectacle - Incubation au Théâtre Banlieue - j’en avais un peu marre. D’abord je ne comprenais même pas ce que je jouais, tout ça avec un metteur en scène très tyrannique. Bon, je caricature un peu… Et dans cette compagnie il y avait Jacques Drouot, le frère de Jean-Claude Drouot, qui ouvrait un cabaret à Ixelles : La Maison des Conteurs , et il me dit, “ Enfin Louis, tu fais rire Viens passer une audition, écris un truc …” Donc j’ai écrit quelques sketches, j’ai été me présenter et ils m’ont pris tout de suite. C’est comme ça que j’ai démarré. Je devais avoir à peu près 30 ans lorsque j’ai fait mon premier seul-en-scène. Cela s’appelait Haahum , parce qu’en entrant sur scène je faisais haa hum . Et ça a bien fonctionné. Quelqu’un de la Ligue d’Impro qui était venu voir le spectacle a aimé ce que je faisais. Il est resté papoter et il m’a proposé de les rejoindre. Je dois bien reconnaître que j’ai eu de la chance parce qu’ils en étaient seulement à leur 2ème saison, et qu’à l’époque il n’y avait pas de stage d’entrée. J’avais bien quelques atouts, mais je manquais des techniques de base et à mon avis, je n’aurais pas réussi le stage à ce moment-là... Bien évidemment cela a été une école formidable pour moi : tout d’un coup, je rencontrais des gens du milieu, donc j’étais assez impressionné. C’est d’ailleurs à la Ligue que j’ai rencontré Eric De Staercke. Je lui ai proposé de faire ensemble un spectacle et nous avons créé Sauvez-vous. On l’a joué 6 semaines à Bruxelles au Théâtre du Grand Parquet et encore une 30aine de fois en tournée en Belgique et en juin 1987, le spectacle a été sélectionné au Festival de Café-Théâtre de Cannes. Lors d’une représentation, les gars du Magic Land sont venus voir notre 2 men-show et ils m’ont proposé de les rejoindre. Eux aussi m’ont beaucoup appris. Cela a été en quelque sorte ma deuxième école de théâtre. Avec le Magic j’ai appris le théâtre de Rue [2], la prochaine 2-3 juin 2007 , les créations à toute vitesse, l’événement [3]…
- Jean-Louis Leclercq
Avec eux, j’ai aussi fait un spectacle sur scène au Botanique. Et puis voilà, j’ai continué. Parfois je suis engagé - par exemple pour des spectacles jeune public avec la Compagnie des Mutants - mais surtout je continue mes propres productions.
Après Sauvez-vous , j’ai créé un seul en scène 107.7 Radio Coulons-la-Douce qui a été joué plus de 130 fois entre 1991 et 1997. En 1994, on a remis le couvert avec Eric : notre deuxième 2-men-show - La Chute finale - a été joué tout autant et il a été primé à plusieurs reprises lors de Festivals à Cannes, Villars de Lans et Monnaie en France et aussi à Genève (CH)
- Jean-Louis Leclercq
Est-ce qu’on peut dire que l’écriture occupe une grande place dans ta carrière ?
Oui, bien sûr ! c’est mon moteur ! Entre autres Les Nouvelles de l’Espace c’est une obligation de créer tous les mois.
Justement, comment organises-tu cela ? Comme on est en permanence dans l’actualité, j’imagine que cela demande une grosse préparation.
J’avais ce projet-là en tête depuis un certain moment et j’ai contacté Mirko Popovic au Delvaux et qui était demandeur. Il me dit “ Moi ça fait des années que j’ai envie de créer ça, un cabaret d’actualités ” donc ça a été OUI tout de suite. On a commencé dans le bar et j’ai contacté des chroniqueurs que je connaissais. L’équipe a beaucoup bougé. Il y a Hugues Dayez et Dominique Watrin qui sont depuis le début avec moi, maintenant il y a Jean-Michel Briou qui complète l’équipe de base et ce sont des personnes qui s’accrochent. Voilà, c’est notre cinquième saison et c’est vrai que pendant les deux premières années je travaillais beaucoup avec eux : ils m’envoyaient leurs textes, on en discutait avant le spectacle. Maintenant que la machine est rôdée, je peux leur faire une confiance absolue parce que ce sont des gens qui bossent et qui ont une efficacité remarquable. En plus des leurs, j’ai également trois chroniques personnelles. Mais au delà de tout cela, j’assume la coordination, la présentation, j’assume toute la logistique et je trouve l’invité pour le Delvaux et quand on va en déplacement comme ce soir à Florenville, c’est le centre culturel qui propose l’invité. Ce soir, on reçoit Jean-Claude Servais BD-iste (Tendre Violette).
- Jean-Louis Leclercq
Donc maintenant, 2 jours avant la représentation, les chroniqueurs m’envoient leurs sujets et puis moi j’établis la conduite. Tout le monde est à peu près formaté, chacun connaît le temps qui lui est imparti et ça roule, Raoul.
Et comment se passent les tournées dans la Belgique profonde ?
Pour Les Nouvelles de l’Espace , c’est un vrai bonheur : on se donne rendez-vous chez ISTAS parce qu’on prend toujours l’autoroute de Namur et alors sur place, nous sommes toujours extrêmement bien reçus. Les gens sont chaleureux à tel point qu’il nous est souvent difficile de rentrer avant 3 heures du matin et qu’il faut quand même veiller à ce que l’un de nous puisse reprendre le volant ! Ce qu’il y a de chouette en province, c’est qu’on peut ressortir des tubes plus intemporels qui ont cartonné. Le plus magnifique dans cette aventure-là c’est l’amitié qui nous unit. On s’aime beaucoup, on se respecte, tout le monde travaille.
En province, vous avez la surprise de découvrir de nouveaux lieux, mais à l’Espace Delvaux, j’ai l’impression que vous avez fort fidélisé votre public.
Oui, de plus en plus. On ne peut même plus jouer au bar, maintenant c’est chaque fois la salle de 200 personnes qu’on remplit.
Un exemple de chronique pour mes lecteurs ?
Bon, la dernière fois Dominique devenait le nouvel amant de Justine Henin et il a fait toute sa nuit de noces en match de tennis, c’était à pisser de rire.
Créé à Bruxelles en 2005, ovationné lors du dernier Festival d’Avignon au Théâtre de Cabestan, ton Mouton revient aux Écuries avant de passer à l’Étuve… C’est tout un programme pour un mouton ;-) Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire cette histoire ?
Je suis parti sur une idée tout à fait légère en me disant “ Tiens voilà un bouquin mythique que j’ai relu, je pense que cela ça m’amuserait de le détricoter ”. Parce que quand on lit Le Petit Prince, il y a ce côté moralisateur un peu casse-pieds, mais en même temps c’est un bouquin magnifique ! Donc j’étais parti avec cette envie de m’amuser à moderniser ce texte sacré, à relever le défi d’atteindre une nouvelle cohérence et surtout l’envie d’offrir un spectacle où chacun trouvera du plaisir et qui – pourquoi pas ? comme l’a voulu Saint Exupéry – pourrait rendre l’homme meilleur. Et puis l’écriture m’a causé pas mal de soucis - parce que ce n’était pas facile – et à un moment donné, je me suis laissé prendre au jeu par l’écriture de Saint Ex de telle sorte que finalement, j’ai voulu restaurer son émotion. En plus, par rapport à ce qui se passait dans mon existence, j’avais vraiment des choses à dire, donc c’est un projet qui a évolué en cours d’écriture.
Je présente un spectacle assez court (70 min) mais assez dense, que je joue avec une jeune comédienne – Kim Leleux – qui est magnifique dans une mise en scène de Christian Dalimier et c’est un spectacle dont je suis vraiment fier.
- Jean-Louis Leclercq
Je trouve que c’est assez malin – je dis ça de manière tranquille parce que j’ai vraiment sué dessus pour retrouver toutes les corrélations. Il y a une réplique qui revient régulièrement dans le spectacle : “ Vous voyez la cohérence ” et je trouve qu’il y a un côté bien décalé mais avec une cohérence que j’ai réussi à inclure puisque avec Christian on a bien retravaillé cet aspect là. C’est l’avantage de travailler avec un auteur vivant parce que le spectacle bouge jusqu’au dernier moment et puis même après notre série de représentations il y avait toujours les mêmes petits couacs. Il y avait notamment le début qui causait problème. Ben voilà, on est des artisans. C’est là toute la complexité de notre métier, c’est qu’il faut à la fois être sûr de soi, même si on est d’une fragilité terrible, et en même temps, il faut être à l’écoute de ce que disent les gens. Quand les critiques sont toujours les mêmes, c’est qu’il y a une raison. Donc on a retravaillé ce début, j’ai un petit peu réécrit, on a peaufiné le jeu. Jusqu’ici on l’a joué une bonne 60aine de fois. Maintenant je pense qu’on est arrivé à avoir quelque chose … On a reçu des témoignages en Avignon, je veux dire artistiquement (soupir) … Tu ne peux pas savoir … il y a des gens qui sortent du spectacle vraiment bouleversés. Là, on vient d’aller à Verdun il y a 15 jours, on avait une belle salle bien remplie – c’était un petit théâtre de 120 places - Il y a eu le noir final… et pas une réaction dans la salle. Rien, le silence absolu. Dans ce noir, on se prépare à saluer, Kim et moi, mais le régisseur a bien senti l’émotion dans la salle, il a laissé un peu de temps et puis il a monté tout doucement la lumière pour le salut avec la musique et c’est seulement à ce moment-là que les applaudissements sont arrivés… C’était émouvant et ça c’est une belle récompense.
La plus belle phrase est celle qui termine le spectacle en parodiant Saint Ex : Même si l’essentiel est invisible pour les yeux, il faut retenir ceux qu’on aime . Donc parfois quand on dit cette phrase-là on sent l’émotion qui monte chez Kim, chez moi, dans le public et beaucoup de gens font “ ben oui, merde, on déconne parfois !”
L’insoutenable légèreté de l’être comme disait Kundera. On en est tous un peu victimes.
Merci pour l’interview, je ne te retiens pas ! (rires)
Interview : Nadine Pochez 23 février 2007
Prochainement :
Ne me dessine pas un mouton auxÉcuries de la Vénerie à Bruxelles du 9 au 18 mars 2007 et à Liège du 22 au 31 mars 2007
Les Nouvelles de l’Espace à la Vénerie - Bruxelles (a) le 8 mars 2007 avec Tibet le 19 avril avec Marlène Dorcena
La plus petite tempête du Monde lors de la Fête des Fleurs2 les 2 et 3 juin avec leFoul théâtre