Mots clés : La foi, la confiance réciproque, la lucidité, l’ouverture
Vous êtes sorti de l’IAD...
Oui, en 1989..
D’abord je suis rentré à l’IAD dans une perspective un peu bizarre, parce que je voulais absolument devenir metteur en scène et, qu’à l’époque, il n’existait pas de section valable pour faire ces études-là en communauté française.
Et à l’INSAS ?
Non cela n’existait pas encore…
Donc je fais une chose très simple : je vais voir les examens de sortie des écoles d’art dramatique : IAD, INSAS, Conservatoire de Bruxelles, et c’est finalement l’IAD que je vais choisir. Je passe l’examen d’entrée, on est une cinquantaine en première et, d’année en année, je suis chaque fois retenu. Évidemment, tout au long de mes études, la perspective d’être metteur en scène avait tendance à s’éloigner, malgré quelques cours théoriques qui me passionnaient peut-être plus que mes camarades… Mais, fondamentalement, l’essentiel du travail reposait sur la formation d’acteur. Donc quand je sors (on n’est plus qu’à 4 !) je suis, entre guillemets, « un acteur ». Et j’ai eu beaucoup de chance parce qu’avec 2 directeurs successifs Armand Delcampe et Jules-Henri Marchant, il existait encore ce pont entre Delcampe et l’Atelier Théâtral de Louvain-la-Neuve. Cette chance a été de nous permettre de participer immédiatement à 2 spectacles : Le Pélican de Strindberg et le Bourgeois Gentilhomme, spectacles avec lesquels on a fait beaucoup de tournées, ainsi qu’un troisième qui était la reprise de notre examen de sortie de l’IAD.
Me voilà plongé complètement dans l’atmosphère du théâtre en tant que comédien ! Et puis, en parallèle, il y avait à Bruxelles cette association dont je ne dirai jamais assez de bien - le CIFAS (Centre International en Formation des Arts du Spectacle) qui organisait (et organise encore) des stages avec des metteurs en scène internationaux. Comme ils annoncent un stage avec André Steiger sur Cinna de Corneille et Off Limits d’Arthur Adamov, je profite de l’occasion pour présenter ma candidature puisqu’il est aussi ouvert à des assistants à la mise en scène.
Donc c’est vraiment une vocation
Oui, c’est toujours cela que j’ai voulu faire. C’était bizarre parce que je suis devenu comédien par la force des choses et, qu’au fond de moi, je suis, je crois, profondément metteur en scène.
Ce que je crois qui fait un comédien, c’est qu’il a un rapport à la notion de personnage, à la dévotion qu’il veut jouer et que moi, je me situe beaucoup plus dans la représentation. C’est-à-dire que depuis tout petit j’ai toujours voulu organiser des représentations dans ma « salle de jeux », transmettre la manière dont moi je perçois le monde, ce qui est très différent pour un acteur. Un acteur – et je ne dénigre en rien la part en moi qui est acteur - serait celui qui se dit « moi je reçois une pièce, je suis une chose petite et en jouant, cela me permet d’ouvrir des portes, que dans ma vie personnelle, je ne pourrais pas ouvrir mais je le puis à partir d’un personnage. Et, évidemment chaque personnage m’en apprend un peu plus sur moi-même » ça c’est très clair.
Mais fondamentalement, ce qui me hante n’est pas ça. Pour donner sens à mon existence avec la perception du monde dans lequel je vis, je fais des spectacles, je les mets en scène à ma manière.
Pour moi, un auteur et sa pièce, à un moment, ça me parle, on pourrait dire que je rentre en empathie avec le projet de cet auteur, et je dialogue avec lui. C’est une idée qui peut paraître un peu folle et abstraite, mais je suis intimement convaincu de ça. Je crois que je suis toujours d’une certaine manière le petit frère, le grand frère, le papa de l’auteur que je suis en train de monter. Je ne suis pas obsédé par la recherche archéologique qui consiste à dire Corneille, c’est ça qu’il a écrit, Kalisky, c’est ça qu’il a écrit… Non, je comprends le projet d’écriture et j’y donne mon projet de mise en scène qui traduit dans une certaine manière le projet d’écriture de l’auteur et qui apporte aussi ma part d’interprétation. J’interprète les textes que je monte. Genet a dit que « écrire c’est trahir », et je crois que c’est assez juste
Comme je suis aussi dramaturge - et pas pour rien - j’essaye d’aller au plus profond de ce que l’auteur a écrit et en même temps, je suis totalement convaincu que le Corneille de 1629 ou le Kalisky des années 1970 ont écrit pour leur temps. Donc moi je mets en scène pour mon temps et pour là où j’en suis dans mon parcours d’artiste… par rapport au théâtre, par rapport au monde dans lequel je vis.
Je crois à la force des œuvres mais pas de manière orthodoxe. Si on prend l’exemple de Mélite, Corneille est quand même, à 19 ans, un poète qui est n’a jamais écrit que des vers et qui n’est pas encore un auteur dramatique. Et qui, suite aux comédiens, principalement italiens, qu’il a vus jouer sur la Place publique de Rouen, décide d’écrire du théâtre, présente sa pièce Mélite à la Troupe du Théâtre du Marais à Paris. Cette pièce pourrait être un four total et il s’avère que c’est un grand succès. C’est tout différent de ma première mise en scène qui est Horace, où là, on a tout un trajet de comédie de Corneille qui décide brutalement d’écrire sa première tragédie qui est le fruit de toute une maturation. Et il finit par arriver à ça. Voilà. J’avoue que j’aime beaucoup les débuts.
Je suis quelqu’un de très lent en tant que metteur en scène : ceci dit, mon parcours de comédien pour finalement devenir metteur en scène comme je voulais l’être au départ, n’est pas tout à fait faux. Et donc quand j’ai fait cet assistanat sur Cinna de Corneille, je vais m’y consacrer pleinement, de telle sorte, qu’à l’issue du stage avec Steiger, un certain nombre de comédiens vont me demander de poursuivre le travail commencé.
Et là, je vais créer les ateliers corneille (avec petit a et petit c) - une espèce de laboratoire d’acteurs - en leur disant : « Moi je ne suis pas metteur en scène, je suis en formation. Je vous propose de faire un laboratoire et d’y convier un certain nombre d’acteurs. Mais sachez bien que j’ai tout à y apprendre. Entre autres, mon métier de metteur en scène ». Donc c’est par eux que je vais réaliser cela. Je ne suis pas un metteur en scène issu d’une école, je suis devenu metteur en scène par la confiance des acteurs. Et je ne dis pas cela par hasard, parce que je suis convaincu qu’aujourd’hui c’est toujours le cas. Si je suis ce que je suis et si je suis là où je suis - et ceci dit, cela n’a pas été toujours rose, cela a eu aussi des côtés difficiles, des côtés sombres - je le suis par la présence, par la force et par la confiance que m’ont donné des acteurs.
C’est aussi dans ce sens que j’ai voulu créer une troupe dont le but est de travailler avec des gens qui un jour m’ont fait confiance. Et cette confiance s’étale dans le temps, dans la perspective d’un projet qui est plus global que celui seulement de produire un spectacle. Au fond, la production n’est que la partie visible de tout le travail qui est fait dans l’ombre. Et c’est ce travail-là qui m’intéresse : on partage un travail avec le public, plutôt que de partager un produit. Moi je ne suis pas très commercial. Je ne suis pas capable de vendre le « produit » parce que je ne le perçois pas comme tel. J’essaye de faire une œuvre d’art, avec toute l’humilité que cela comporte. Je fais et puis après c’est le public, le monde qui m’entoure, le théâtre dans lequel je travaille qui décident…. Il se fait que depuis la première fois que j’ai monté un spectacle au Théâtre de la Vie, cela a créé un compagnonnage et que depuis, nous pouvons bénéficier du lieu, des infrastructures, de l’équipe qui y travaille car une relation de confiance et de foi s’est établie. On a besoin de travailler avec des gens qui ont la foi ! Je crois que notre travail est respectable et je peux même ajouter que je n’ai jamais été démoli par personne. On ne peut pas détruire mon travail, notre travail, car il est respectable. L’Atelier Corneille comporte 9 comédiens, 1 metteur en scène, son assistante, 1 scénographe, 1 musicienne, 1 directeur de chant, et 1 éclairagiste et quand toutes ces personnes se font confiance mutuellement. Et quand en plus, les gens de cette Maison ici nous font confiance, le public le sent, cela se perçoit. Par contre quand on n’a qu’un produit à offrir, on vient voir, on dit j’aime ou je n’aime pas et puis si on n’aime pas, on peut se permettre de démolir la chose puisqu’elle nous a été présentée comme un produit.
Dès qu’on est dans le produit, on est dans la stratégie.
Qu’attend le metteur en scène que vous êtes, de ses comédiens ?
Il y a quelque chose en moi qui sommeille du dramaturge : une vision relativement scientifique du théâtre : comment c’est construit. Je suis quelqu’un qui s’exprime par la pensée. Je ne suis pas quelqu’un de pratique. Alors ce que j’attends d’un comédien, c’est qu’il puisse témoigner de sa pratique. J’aime les comédiens qui font déjà un travail que le metteur en scène n’a plus à faire. Une première règle pour moi, c’est que le comédien à un vision de l’intérieur des choses, vision que le metteur en scène ne pourra jamais atteindre. Et tout au long du projet, le metteur en scène a une vision extérieure que le comédien, du moment qu’il monte sur le plateau, ne peut pas avoir. Je suis comme qui dirait un spectateur privilégié.
Si j’ai voulu créer une compagnie - ce qui n’est quand même pas très à la mode et n’intéresse personne en Communauté Française - c’est parce qu’un comédien ou un mode de fonctionnement du comédien n’est pas l’autre. Dans le cas d’un produit, on n’a pas vraiment le temps de comprendre comment un comédien fonctionne, il faut qu’il soit efficace. Dès le moment où l’on peut monter plusieurs spectacles avec les mêmes comédiens, on comprend qu’il y a plusieurs sortes de comédiens. Il y a ceux qui fonctionnent tout de suite, ceux qui pataugent pendant un certain temps pour finalement trouver la clé et s’envoler dans un moment de grâce dès qu’ils sont face au public, ceux aussi qui – comme Rachid Benbouchta –cherchent tous azimuts et font le tour de la maison avant de choisir. Un comédien peut proposer des choses bonnes ou moins bonnes - quitte à déplaire – des choses parfois absurdes qui parfois, à la réflexion, ne sont pas si absurde que cela ! Il y a des tas de manières différentes pour un comédien d’aborder un travail. Même si ce travail est très défini. Comme le mien par exemple. Ce que j’aime dans le travail de troupe c’est que le metteur en scène connaît ses acteurs et qu’il ne va pas induire des choses au mauvais moment. Quand le comédien qui est très lent, est en train d’essayer des choses, si vous lui dites toujours « ce n’est pas ça », il ne va plus chercher, il va se coincer. Par contre, le comédien qui lui a trouvé tout de suite, et à qui on peut dire « c’est bon, maintenant on peut tenter de complexifier un peu les choses » il est prêt parce qu’il a déjà trouvé son assise. Donc je dois faire en sorte qu’il ait foi en son metteur en scène, comme je dois avoir foi en lui. Et si « manipulation » il y avait de ma part, ce ne pourrait être qu’une manipulation consentante !
Parlant de manipulation, ce n’est pas tant le comédien que je manipule, mais le spectateur. C’est-à-dire que lorsque je monte Mélite en disposant le public tout autour du spectacle, je le mets dans une situation à laquelle il ne s’attend pas alors qu’il va voir un spectacle qu’il croit - dans sa culture - être ce théâtre un peu emmerdant qu’on voit sur une très grande scène avec de très beaux costumes, mais dans un rapport frontal où les comédiens jouent entre eux et où la relation avec le public est plus ou moins nulle.
Je veux le moins possible de spectateurs qui s’enfoncent dans leur fauteuil en disant « et maintenant montrez-nous ce que vous savez faire ! ». J’ai envie d’un spectateur qui participe au spectacle… Et cela sans démagogie de ma part, car je n’aime pas non plus ces spectacles où l’on fait monter les spectateurs sur le plateau.
Peux-tu te définir en quelques adjectifs ?
Pour moi le maître mot de mon travail c’est « lucidité » et dans ce mot il y a 2 choses : la clairvoyance et aussi la notion de lumière. Je suis donc contre l’obscurantisme et l’aveuglement. Donc je suis contre le théâtre bourgeois parce que je trouve que notre monde va mal et qu’il laisse beaucoup de laissés pour compte derrière lui. Et la clairvoyance : oui, nous devons faire rêver les gens mais pas seulement.
Et vous êtes un être lucide ?
Oui
Quoi encore ?
Tragique
Tragico-lucide !
Oui il faut avoir la conscience que tout cela va à un mur. Non ? (rires)
J’ai aussi un certain degré d’ironie, mais tout cela est lié.
Il me semble que vous êtes généreux
Oui, dans un certain sens, mais je préférerais dire ouvert, car en étant généreux, il me semble que je me dépossèderais pour donner à l’autre ; je pense qu’on doit se donner des choses mutuellement.
Et après Mélite, que nous réserve l’Atelier Corneille ?
Nous avons un projet pour la saison prochaine : « Il est venu tant de monde dedans ma chambre », un travail sur Louis-Ferdinand Céline.
Et puis nous monterons « 1953 » de Jean-Marie Piemme et aussi « Sur le Babel » de Rachid Benbouchta.
Merci Jean-François.
Propos recueillis par Nadine Pochez au Théâtre de la Vie, le 5/1/2006