Une femme, assise de dos, regarde la mer qui déroule ses vagues sur l’écran qui lui fait face. Puis, des sons et des images captés par une chaîne de télévision israélienne. Izzeldin Abuelaish exprime sa douleur après que deux obus tirés par l’armée israélienne aient détruit sa maison. Nous sommes le 16 janvier 2009 à Gaza, l’homme pleure ses trois filles Bessan (21 ans), Mayar (15 ans), Aya (14 ans) et sa nièce Noor (17 ans) qui ont perdu la vie dans l’attaque tragique.
Izzeldin Abuelaish est palestinien, né en 1955 à Gaza dans le camp de réfugiés de Jabalia. Gamin, l’aîné de six garçons et trois filles se levait à trois heures du matin pour récupérer les tickets de lait, distribués par les Nations Unies, de ceux qui n’en voulaient pas pour les revendre, avant de partir en classe, à ceux qui en voulaient. Malgré la misère et la promiscuité du camp, Izzeldin Abuelaish devient médecin, spécialisé en gynécologie obstétrique. Il sera même le premier médecin palestinien à exercer en Israël et deviendra un spécialiste mondial de l’infertilité, donnant la vie à des enfants, qu’ils soient palestiniens ou israéliens.
En dépit du deuil et de la douleur qui l’affligent, le médecin refuse d’ajouter la haine à la haine. « La haine est un poison, c’est une toxine qui détruit celui qui la porte, dit-il dans un Ted Talk en 2012. (...) Avec la mort de mes filles et la vie que j’ai eue, j’ai été une victime. Mais je n’accepterai jamais d’être une victime de la haine. La plus grande arme de destruction massive est la haine dans nos âmes. »
Défendant un rapprochement pacifiste entre Israël et la Palestine, celui qui est devenu un infatigable messager de la paix a publié en 2010, « Je ne haïrai point : un médecin de Gaza sur les chemins de la paix » (Robert Laffont), aujourd’hui traduit en 25 langues. A la demande d’Olivier Blin, directeur du Théâtre de Poche, Denis Laujol s’est emparé du texte pour le porter à la scène.
D’abord, il en a modifié le titre. « Dans Je ne haïrai point, il y a quelque chose de l’injonction divine alors que c’est avant tout une histoire humaine », précise le metteur en scène. L’intitulé est donc devenu « Je ne haïrai pas » pour mettre en lumière la décision d’un homme qui choisit de ne pas haïr malgré le pire. Ensuite, Denis Laujol a réécrit le texte en se plaçant du point de vue des femmes disparues qui ont marqué sa vie : Dalal, sa mère, Nadia, sa femme, ses filles et sa nièce, qui reviennent de chez les morts pour s’adresser à Izzeldin, et au public.
La comédienne Deborah Rouach raconte cette guerre insidieuse au travers de ces femmes qu’elle ressuscite. Dalal, décédée avant la destruction de la maison familiale, rappelle la vie de misère à Gaza « qui n’est qu’un immense camp de réfugiés ». Nadia a été emportée par une leucémie fulgurante alors que Izzeldin était enfermé dans « l’enfer de l’attente, la négation de l’humanité » que constituent les check points à l’entrée de Gaza. Retenu et humilié deux jours durant par les soldats israéliens, le médecin ne pourra veiller son épouse mourante.
Au moment d’évoquer les jeunes tombées sous les obus, la comédienne décroche, s’emballe et souligne ce qui ne va pas dans la pièce mais aussi en Palestine. Cela n’évolue pas comme le médecin l’imaginait dans son livre. Pour éviter toute sensiblerie, elle va jusqu’à fustiger le metteur en scène qui n’a jamais mis les pieds en Palestine. Mais le personnage de Déborah Rouach (juive d’origine marocaine) met surtout en évidence la colère générée par l’impuissance face à un conflit sans fin dans lequel « le futur n’est plus qu’un néant ».
Didier Béclard
« Je ne haïrai pas » de Denis Laujol, d’après le vivre de Izzeldin Abuelaish, jusqu’au 22 octobre au Théâtre de Poche, à Bruxelles, 02/649.17.27, www.poche.be.
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