Bir 2003 ou le théâtre ... à doses homéopathiques !
Comme tout un chacun, - suite à la nomination de son fils Philippe Volter en tant que directeur artistique à la Cie Volter -, je me demandais si elle allait prendre une part quelconque à ce nouveau souffle.
Absolument pas !!!
C’est le projet commun de Michel de Warzée et de mon fils dans lequel je ne prends aucune part sauf éventuellement de façon ponctuelle comme je l’ai fait la saison dernière pour " l’Amant" de Marguerite Duras. Nous n’avons pour le moment aucun projet en commun sauf s’il y a une demande neuve...
Cela va-t-il changer la donne quant à vos engagements au Parc ?
Pas plus puisque depuis plusieurs années je ne suis déjà plus pensionnaire du Parc. Les dernières années, j’ai vu disparaître plusieurs personnes proches. A commencer par ma maman voici 5 ans, puis quelques amis et fin de l’année, mon ami très cher et ancien compagnon Claude Volter.
J’avoue que cela m’a donné à réfléchir sérieusement...
J’avais beau me projeter dans des rôles même dramatiques, ce n’était pas la vie même si j’y impliquais des émotions personnelles. Et quand la mort rôde aux alentours, tout bascule. Je ne m’ étais pas rendue compte que les choses pouvaient à ce point se précipiter, que cela pouvait être une telle hécatombe et que déjà on était demain. ! La vie est passée tellement vite, j’ai toujours été tellement occupée, j’ai beaucoup joué. C’est pourquoi je joue à présent quand c’est indispensable à la vie !
Justement, n’avez-vous pas la pénible impression en raison de ce surcroît de travail permanent, d’être passée à côté des choses essentielles de la vie ?
Malheureusement oui ! Et c’est fort regrettable.
Mais comment faire autrement. Dans ce pays, les salaires ne sont pas mirobolants, il faut travailler constamment pour assurer son avenir matériel. C’est une profession que l’on ne peut embrasser à moitié, ou l’on attend près du téléphone le contrat, ou cela " marche " pour vous et l’on est constamment demandé.
C’est bien pour cette raison qu’à ce stade de ma carrière je ne joue plus que quand c’est un besoin financier ou nécessaire à l’accomplissement de mon épanouissement personnel car il faut dire que j’ai eu la chance de tout jouer et il se propose à présent de moins en moins de beaux rôles. Je ne veux donc faire que ce que j’ai envie de faire, ou ce qui s’impose !!!
Et les pensions étant ridicules, autant faire ce que l’on sait et ce que l’on aime faire ! C’est pourquoi je le fais maintenant juste pour le plaisir, à doses homéopathiques car la fatigue et le besoin de récupérer se font également ressentir. J’ai fait du théâtre à fortes doses, j’ai aujourd’hui envie de garder le plaisir d’en faire ! Et puis parfois certains personnages pèsent et on n’a pas envie de les garder avec soi quand on entre chez soi. Il faut sélectionner. Pour le moment je suis en tournée avec " Cher menteur " en compagnie d’Armand Delcampe jusque fin avril pour le Théâtre Royal du Parc, ce sont des moments de plaisir.
La scène vous est-elle nécessaire ?
La scène est un dopant, mais si je me retrouve en overdose ou trop angoissée, alors j’arrête et je passe au-dessus de cette angoisse. Si les problèmes de mémoire sont paniquants rien ne sert de continuer non plus car j’ai envie de prendre le temps de vivre or dans le théâtre ou c’est trop de demandes ou ce n’est pas suffisant mais quand on est " dans le coup ", forcément l’on vous demande et alors vous êtes tentée !!! Il faut constamment prendre le temps de la réflexion avant la décision. C’est important et... vital !
Cependant il y a une chose qui m’ennuie fortement dans ce métier, c’est l’impression d’être en "bloque" permanente, de passer des examens perpétuellement mais c’est hélas ... incontournable !
Avant la mort de Claude Volter, je n’avais pas vraiment réfléchi à la précarité de la vie, maintenant j’y réfléchis et j’agis en conséquence. Peut-être un peu tard mais pas trop tard !!! J’ai des enfants, une famille, des petits-enfants, j’ai envie d’y consacrer du temps, une certaine qualité de vie.
J’étais jusqu’alors dans l’esprit le plus proche de la mort ... mais pas dans la réalité. La mort de ma mère a été un déclic, j’appréhende la vie autrement car je pratiquais la projection de vie de loin, en perspective. Là, je l’ai reçue en plein dans la g. ! Je suis passée à côté des choses essentielles, je n’étais pas assez présente auprès de mes enfants mais il n’était pas possible de faire autrement et il est vrai qu’à l’heure du coucher, des câlins, je me mettais en route pour aller "jouer". L’idéal bien sûr est de ne pas être un couple de comédiens.
Votre fils Philippe a lui aussi embrassé cette carrière voici quelques années...
Oui, et cela lui réussit, mais j’avoue que j’ai essayé de l’en dissuader car je ne connaissais que trop les exigences de ce métier. Mais c’est son choix et j’espère seulement qu’il pourra éviter de reproduire avec sa petite fille les erreurs que j’ai commises, que nous avons commises, car ils sont également un couple de comédiens.
Quant à mon fils Fabien, il a lui pris le chemin opposé et fait un choix qui place en priorité sa famille, ses enfants. Cela me rassure évidemment. Il est très heureux ainsi. Ils le sont tous les deux en ayant embrassé des voies différentes. C’est l’essentiel. En fin de compte, le seul souhait d’une maman.
Vous n’avez pas l’envie de partager cette expérience tellement riche avec les jeunes ?
Si bien sûr, mais il ne m’a jamais été possible d’enseigner car le temps et l’énergie me manquaient. Je pense toutefois que s’ils viennent assister au spectacle, ils peuvent apprendre quantité de choses seulement en observant attentivement ce qui est bien ou mal fait. Ils peuvent alors appliquer leur propre jugement, ils sont tellement éveillés !
Quoi qu’il en soit il est important qu’ils réalisent qu’au théâtre, il est impérieux de rencontrer quantité de gens dans des univers différents, il faut savoir qu’au théâtre, on a besoin de voir évoluer les choses, d’être "en contact" comme on le faisait à l’Avenue Roosevelt au début de la création de la Compagnie Volter.
Vous êtes satisfaite de votre parcours quand vous le regardez par-dessus votre épaule ?
Je crois avoir fait mon métier du mieux que j’ai pu, mettant tout de moi dans le respect complet du public mais également des auteurs. Je pense qu’on est là chacun pour apporter une petite pierre, constituer un petit maillon. Il est vital de garder l’humilité, de parler au public de beauté, de grandeur, de sentiments "convenables". J’ai essayé de donner la paix de l’esprit en fréquentant de beaux textes mais aussi de les amuser, de les détendre, de les faire réfléchir. Bien souvent j’ai rencontré de très beaux moments de communion avec le public, de vrais moments privilégiés !!! Parfois aussi je rencontre en rue les gens, ils me saluent ou m’abordent comme s’ils me connaissaient et c’est vrai qu’ils croient me connaître puisqu’ils me voient depuis toujours. J’aime assez ce genre de rapport là. C’est une façon aussi de recevoir de l’énergie car à quoi sert-elle si vous l’offrez et qu’elle ne vient jamais en retour !!
Ce parcours de 50 ans de carrière a été récompensé tout dernièrement ?
Oui, j’ai reçu un "brigadier d’honneur" ce 17 décembre 2002 remis par l’Association des Journalistes lors de la remise des Prix de Théâtre de la saison 2001 - 2002 (à l’initiative de sa fondatrice Bernadette Abraté) au Théâtre Marni en même temps qu’un très émouvant hommage d’Adrian Brine et de Thierry Dutoit.
... "J’assistais ce soir-là à la cérémonie et quand " Madame " Bir fut appelée sur scène, on assista à une véritable "standing ovation", un raz de marée d’applaudissements déferla sur le Théâtre Marni avec - exceptionnellement -, une complicité totale du public composé de professionnels, une adhésion sans contingences quelles qu’elles soient. Enfin ! L’on assista alors, - comme elle nous y a accoutumés-, à un discours de remerciement tels que ne peut le faire qu’une très grande dame.
Elle avait l’allure d’une Diva ! Altière notre Bir. Quelle élégance, quelle classe, quel talent mais encore... quelle modestie, quelle chaleur humaine, quelle lumière intérieure ! Pour sûr, cette dame-là sait ce que veut dire : questionnement, intériorité, remise en question... Aucun nombrilisme. Bel exemple !...
Elle évoqua ses 50 ans de carrière où elle a interprété tant de beaux rôles, dans un répertoire si varié. Tellement varié que, comme le souligna Adrian Brine, "chaque fois qu’elle interprétait un rôle, on ne pouvait l’imaginer dans un autre. Tellement elle en était investie. Reine, noble, citoyenne, clocharde, pocharde, putain... À chaque fois elle donnait le meilleur d’elle-même"...
Elle remercia la vie pour tous ses cadeaux mais ne pu s’empêcher de faire remarquer la triste absence de Claude Volter, longtemps son "doux prince", et plus longtemps encore, par-delà la séparation, son ami et confident de toujours. Et surtout aussi le père de ses deux fils. Avec chaleur, elle encouragea les jeunes et insista sur la qualité artistique de nos comédiens, tant renommés que récents. Elle ajouta qu’elle espérait encore servir le théâtre avec qualité et passion, et remise en question constante. Quelle leçon !!
Quand elle quitta la scène, laissant un public enthousiaste, elle eut droit à une seconde "standing ovation".... " .
Justement à propos de Claude Volter, un cinéaste a réalisé un documentaire dans lequel vous êtes tous présents. Qu’en avez-vous pensé ?
J’ai été profondément scandalisée et attristée. Ce n’est pas là l’image que je souhaitais voir conservée par le public, par ceux qui l’avaient aimé et admiré. Monsieur Lemaire a diffusé là une image de Claude Volter trop dévalorisée alors que la carrière, le personnage, l’homme qu’était Claude était de toute beauté, de grande énergie, d’une folie et d’une créativité constantes. C’était un être absolument insensé.
La seule note positive de ce film est que nos petits-enfants ont pu découvrir leur grand-père autrement, mais personnellement ce film me fâche. Si j’avais été son épouse, je l’aurais interdit. Nous sommes tous très déçus de ce résultat alors que nous y avons consacré tellement d’heures.
Voici quelques années, Bernadette Abraté avait consacré un très beau reportage sur Claude. C’est celui-là qu’il fallait montrer, c’est cette image-là que le public devait garder de Volter, et non celle d’un homme diminué et attristé dans la maladie, ce qui fût une période bien courte dans sa vie en regard de sa carrière magnifiquement remplie.
J’imagine qu’après avoir vécu un tel amour, avec un personnage comme Volter, il n’est pas facile de retrouver un équilibre de femme ?
Évidemment, avec Volter j’ai tout vécu, de trop beaux moments, de l’exaltation mais aussi de trop mauvais moments. Le meilleur comme le pire. Ce n’était pas quelqu’un de terne ni d’insipide, il avait une réelle personnalité, un réel talent et une ambition dans leur mesure et... leur démesure parfois. Misogyne mais avec tellement de charme qu’il arrivait toujours à se faire pardonner...
Quand les choses se terminent mal dans un mariage - ou dans une association - les références sont alors contaminées, tronquées par ce qu’on a vécu et après l’on a du mal à s’adapter. Le meilleur ne s’oublie pas, mais le pire est quelque chose qui marque la vie !
Des projets après " Cher menteur " ?
Vivre c’est déjà un beau projet !!!
Les projets artistiques quant à eux seront annoncés en leur temps par les gens dont c’est réellement le job. Je ne vais pas anticiper la saison prochaine...
Avec Jacqueline, tout est toujours clair et limpide, pas question de noyer le poisson dans des futilités. En grande Dame, fragile cachée sous sa fermeté, mais aussi en toute humilité, elle sait constamment remettre les choses... à leur juste place.
Aujourd’hui elle a appris - conséquence de la vie - à placer des priorités.
Nous sommes samedi, elle a consacré - en vraie professionnelle - une part de son temps à l’interview et ensuite elle s’envole, impatiente et souriante-, vers des choses plus essentielles qu’elle connaît bien maintenant et qu’elle a enfin le luxe de placer en prioritaire : sa famille, les gens qu’elle chérit et cet après-midi c’est une visite à sa dernière petite-fille... ! Car la vie nous réserve quand même de beaux cadeaux, dont ceux-là et la fragilité peut enfin, à certaines heures, briller dans toute son éclosion, sans danger aucun...
Dans la mémoire collective, Jacqueline Bir restera probablement indissociable de Claude Volter, à eux deux ils ont créé la Comédie Claude Volter, ce n’était pas rien ! Aujourd’hui aux côtés de Michel de Warzée, c’est Philippe Volter qui reprend le flambeau de ses parents. Bon vent à ce second souffle !!!
À bientôt Jacqueline. N’oubliez pas que notre rythme d’interview, c’est tous les dix ans comme précédemment. Il y a toujours tant à raconter. Nous savons que vous servirez encore le théâtre avec passion et qualité pour notre plus grand bonheur. Tant de fois, vous nous l’avez démontré !
Fabienne Govaerts.