Se partageant "Dans ma maison", Greg et Nicolas opposent d’emblée douceur, liberté à stupidité, abus de pouvoir. L’un rêve à la femme qui le rejoindra, l’autre dénonce la vanité des hommes, capables de dire "des choses aussi bêtes que bête comme ses pieds ou gai comme un pinson."
Très souvent, chez Prévert, l’amour de la vie nourrit la contestation de l’ordre établi. L’utilisation d’objets hétéroclites, de poupées, de marionnettes soulignent la fragilité de l’enfant, soumis à la loterie de l’existence et confronté à la mort. Les rires provoqués par l’illustration maladroite de la chanson "Le Chat et l’oiseau" ne masquent pas l’amertume et le cynisme du chat. En revanche, "Pour faire le portrait d’un oiseau" fait briller un soleil radieux. Enivrés de liberté, les vieux enfants suivent avec enthousiasme cette recette magique.
"Notre Père qui êtes aux cieux,
Restez-y
Et nous, nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie."
Anar, rebelle, Jacques Prévert se laisse emporter par son anticléricalisme, en stigmatisant les maîtres de ce monde, "avec leurs prêtres, leurs traîtres et leurs reîtres". Mais il se montre encore plus corrosif, quand il tire à boulets rouges sur l’hypocrisie sociale. "Il faut laver son linge sale en famille." Propulsé par la fougue du texte, Nicolas Buysse rend monstrueux cet acharnement à sauver les apparences. Curieux mélange de douceur enfantine, de refus gonflé de colère et d’adhésion à la vie, Prévert aimait la convivialité. Les comédiens le rappellent, en trinquant joyeusement avec le pianiste Mathieu Van, qui les soutient tout au long du spectacle, et en distribuant des fruits et du chocolat (devinez la marque...).
Pour l’auteur de "Paroles", l’amour est une valeur sûre, un rempart contre le malheur. Mais fissuré par l’usure du temps, il engendre souvent la mélancolie. "Déjeuner du matin" décrit une rupture, avec une froideur glaçante. En associant la lecture du poème par une spectatrice à son illustration par Greg, Nicolas en souligne l’extraordinaire simplicité. Fredonnée par Yves Montand dans "Les Portes de la nuit" (1946), un film raté, "Les Feuilles mortes" est devenue une chanson culte. Pas une ride. Une mélancolie douce et implacable se dégage de ses paroles. Nicolas le confirme par la sobriété de son interprétation et Greg, dans un solo de trompette, magnifie la musique envoûtante de Joseph Kosma. Tous deux relèvent ce défi au temps, en reprenant "La Chanson de Prévert" (Serge Gainsbourg) : "Jour après jour, les amours mortes n’en finissent pas de mourir."
L’espièglerie, l’autodérision, l’enthousiasme et le talent des trois "Jacques" créent un climat favorable à la découverte d’un poète accessible et profond. On l’a souvent catalogué "poète pour écoliers". On lui a reproché la simplicité de son langage, ses plaisanteries faciles. Des préjugés que le spectacle fait voler en éclats. Prévert ne donne pas de leçons. Attaché à la vie et aux gens simples, il joue avec les mots, pousse des coups de gueule, des cris d’amour et suscite des émotions. Elles devraient contribuer à nous rendre plus humains.
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