Mercredi 29 septembre 2010, par Jean Campion

Itinéraire d’un poète maudit

Dans un de ses spectacles précédents : "Rimbaud, il faut être absolument moderne !", Fabien Franchitti s’était efforcé de "jouer les propos du poète, en conservant un oeil critique". "Les Monstres de Baudelaire" confirme ce souci de personnaliser son approche d’une oeuvre poétique, sans dénaturer le texte initial des "Fleurs du mal". L’agencement des poèmes et la conviction des interprètes éclairent intelligemment les rapports entre l’artiste, la femme et la mort, mais le spectacle desservi par certaines maladresses, manque de ressort et de souplesse.

Enfermés dans des cages, Edgar Poe (admiré par Baudelaire) et Prosper Syphillis (alias Jeanne Duval, la muse troublant l’âme du poète) expriment leur désarroi, sous l’oeil ironique de la Mort. Celle-ci relance ce dialogue à distance, qui balise l’itinéraire d’un homme déchiré entre l’aspiration à la beauté et l’attirance du spleen.

Pour retrouver l’envie d’exister, le poète recherche une muse. Celle-ci le tente, le fascine et le mène à l’évasion suprême. La Mort ne l’effraie pas. Il l’accepte "sans haine et sans remords". Invitation, Tentation, Fascination, Evasion, Révélation : ces cinq tableaux , regroupant une vingtaine de textes choisis avec pertinence, constituent la trame du spectacle. Nous échappons au défilé de poèmes !

Cependant certaines initiatives du metteur en scène masquent trop souvent ce scénario. Maquillages et costumes donnent l’impression que les personnages sortent d’un film de Fritz Lang ou de Murnau. Certes, cette référence au cinéma expressionniste du début du vingtième siècle peut se justifier par les visions angoissantes et les images macabres, qui peuplent "Les Fleurs du mal", mais elle n’est guère exploitée. Au lieu de soutenir efficacement la progression dramatique, la bande sonore habille chaque poème "sur mesure", en utilisant parfois des airs trop connus. En outre, il est pénible d’écouter, dans le noir, les 40 vers de l’adresse "Au lecteur" (poème initial admirable !), dits par une voix off, qui se bat contre la musique.

L’idée de mettre en cage Edgar et Prosper, pour suggérer leur besoin de s’évader d’eux-mêmes est intéressante. Mais on regrette que ce décor encombrant freine la gestuelle des comédiens. Malgré ce handicap, ils confèrent à ces "Monstres de Baudelaire" une intensité remarquable. Dans le rôle d’Edgar Poe, Renaud Lourtie nous touche par sa sobriété et ses qualités de violoniste donnent un relief particulier à "La Muse malade". Regards approbateurs, interventions tranchantes, Marco Fabbri incarne une Mort, sûre de son coup. Parfois un peu figée, Pascale Kinanga est une Prosper, qui se libère totalement, en quémandant la pitié de Satan. Même s’il n’est pas complètement abouti, ce spectacle audacieux montre que Baudelaire, attiré par l’enfer, ne doit pas craindre le purgatoire...