Jeudi 29 novembre 2007

Isabella Soupart

Actrice, danseuse, metteur en scène, chorégraphe. Inutile d’essayer de résumer les talents d’Isabella Soupart en un mot ! C’est pourtant son souhait mais elle n’a pas encore trouvé ce mot unique, elle qui veut faire passer le sens dans tous les sens.

Isabella SoupartIsabella, vos formations principales sont la danse classique et contemporaine (Sana Dolsky) et l’art du mouvement et de la parole (Kleine Academie) mais vous êtes aussi metteur en scène et chorégraphe. Parlez-moi de vos multiples talents…

Très petite, je ne parlais pas beaucoup, j’ai commencé par la danse. C’est ce qui m’intéressait le plus (à quatre ans). Mon beau-père a été cinéaste ; j’ai donc très vite été confrontée au tournage et au montage de films. Le cinéma, le jeu et la danse sont devenus pour moi incontournables. Je vivais dans ce monde-là et je fonctionnais avec ces paramètres, c’était pour moi comme une évidence.

Quand j’ai dû choisir une école, je n’ai pas voulu faire le Conservatoire car j’avais l’impression que cela allait m’enfermer en tant qu’actrice dans un style, dans une forme assez traditionnelle et classique alors que j’étais déjà sur un langage où j’essayais de faire parler la « physicalité » et la danse et la théâtralité et le jeu. Donc j’ai cherché une école qui me permette de travailler sur les différents plans et la Kleine Academie aborde le théâtre par la « physicalité » avant tout, puis seulement par le texte. C’est ce qui correspondait le mieux à mes recherches.

Si, petit à petit, je suis devenue metteur en scène, chorégraphe, c’est parce que je ne trouvais pas moi en tant qu’actrice et danseuse cette connexion que je cherchais. Même si le chorégraphe fait parler le danseur, ce n’est pas encore pour moi le jeu de l’acteur. Et même si dans la théâtralité on aborde un peu la physicalité, il n’existe pas encore dans le théâtre actuel un vrai langage gestuel.

Durant toutes mes recherches personnelles pour arriver à une connexion, j’ai continué à jouer au cinéma. Le cinéma pour le jeu m’intéressait plus que le théâtre, puisque celui-ci était pour moi trop traditionnel et trop basé sur le texte ; alors qu’au cinéma, j’abordais un jeu plus intériorisé, plus subtil. C’est comme ça que j’ai rencontré les frères Dardenne et que j’ai joué dans Le Fils. J’ai aussi travaillé avec Olivier Gourmet dans le film Madonnen qui va sortir maintenant.

Après votre formation en danse, qu’est ce que la Kleine Academie pouvait vous apporter ?

Isabella Soupart

La danse m’a apporté une technique importante pour pouvoir gérer le mouvement, mobiliser le corps dans un certain rythme et en gardant un équilibre. Mais je n’étais pas tout à fait heureuse, car la danse c’était de l’abstraction, du mouvement uniquement, de la chorégraphie. Il me manquait toujours l’idée de jeu et de texte, c’est pourquoi j’ai fait la Kleine Academie. Dans le fond, je me sentais très actrice, je cherchais à jouer et comment jouer ? Avec quels matériaux ? J’ai trouvé ce complément à la Kleine. J’ai pu développer ce que j’avais déjà en moi en tant qu’actrice mais de manière beaucoup plus large, on a abordé tous les styles différents du théâtre ce qui m’a permis d’élargir mes couleurs théâtrales et mes personnages.

Fondamentalement, cela m’a permis de découvrir mon langage parce que la Kleine permet un langage propre, d’élaborer son univers personnel en travaillant avec d’autres gens et en faisant travailler les autres à travers des ateliers. Cela m’a apporté des matériaux que j’utilise encore maintenant et que j’ai transformés à ma sauce.

Vous avez fondé votre compagnie en 2000. Comment cela s’est-il passé et comment évolue votre travail depuis ?

Au départ, en plus de la création, je devais aussi travailler sur la production, je devais tout gérer. C’était compliqué, mais ça m’a donné beaucoup d’armes pour la suite.

J’ai voulu faire une première création d’après « Les trois sœurs » de Tchekov qui s’appelle Al-dente. J’avais des objectifs très clairs, je voulais inscrire mon travail dans des lieux qui proposent une ouverture au théâtre. J’ai donc proposé un projet, je me suis beaucoup battue pour qu’il soit accepté car je n’avais encore rien fait. Puis j’ai fait cinq mois de recherches avec les comédiens sur le langage que je voulais faire passer. Pour cette première expérience, je suis allée dans les écoles pour voir les élèves sortants, comme ça ils étaient disponibles, pas encore formatés.

Ma deuxième création à été faite pour les Tanneurs qui voulaient la produire : Boiling Point, avec laquelle on a commencé à beaucoup voyager. Puis j’ai fait une création avec Anne Teresa De Keersmaeker qui s’appelle Erase-E(x) et qui voyage partout dans le monde. Ensuite j’ai fait In the Wind of Time que le KunstenFestivaldesArts a produit en 2005. Depuis j’ai continué à travailler avec ce festival car je rentre dans des nouvelles formes qui les intéressent et aussi avec le théâtre national flamand, le KVS. À ce niveau les gens les plus frileux ce sont les francophones. Ça commence à changer un peu, mais ça a été très difficile car ils sont très conservateurs.

Vous travaillez toujours avec les mêmes personnes ?

Il y a un petit noyau de trois personnes, mais, à chaque nouvelle production, j’essaie de rencontrer de nouveaux artistes. En ce moment, je travaille plus avec des danseurs, parfois plus avec les comédiens. Je ne travaille pas qu’avec des Bruxellois parce qu’il y a d’autres artistes qui viennent de l’étranger et qui se présentent aux auditions.

Dans l’ensemble, vos spectacles sont donc plutôt bien accueillis.

Oui. Que ce soit en Belgique ou à l’étranger. Mes spectacles se jouent dans différentes langues en même temps, mais aujourd’hui ils sont sur-titrés donc ça ne pose plus de problème.

Pour vos mises en scène, vos points de départ sont des grands classiques : Les Trois Sœurs de Tchekov, Andromaque de Racine et Hamlet de Shakespeare . Pourquoi avoir choisi ces pièces ?

J’avais besoin de partir d’un matériau très concret. Comme ces textes sont forts, tout comme l’univers de ces situations. Ils sont donc une base de laquelle je peux m’éloigner, me rapprocher, trouver l’essence même de ce qui se dit.

Ces textes m’apportent des matériaux très denses, un contexte dans lequel nous on vit mais j’ai besoin d’une base solide pour faire des liens avec ce qu’on vit actuellement.

Dans Les Trois Sœurs (Al Dente), je voulais parler de la famille, d’un trio de frères et sœurs à la mort de leur père donc cette pièce était tout indiquée, c’était vraiment une source importante d’inspiration et d’atmosphère. Que va-t-il se passer finalement entre ces trois filles ? Je n’ai pas du tout utilisé le texte initial, j’ai réécrit, mais j’avais besoin d’un fond.

Pour Andromaque (Boiling Point), j’avais envie de me confronter à un texte classique français du 17e, qui a sa rythmique particulière, mais dans une dynamique actuelle. Avec le vrai sens du texte, mais avec d’autres moyens. Le sujet en lui-même m’intéressait beaucoup : la guerre, l’extinction d’un peuple, le conflit, la violence et l’amour tellement passionnel qu’il va jusqu’à la mort. J’ai fait des comparaisons à ce moment-là entre le texte de Racine et le Rap. J’ai créé une tension entre ces deux résonances et cherché avec les acteurs comment transmettre ce texte qui est magnifique et finalement tellement rythmique qu’il en devient percussif. Mais pour me confronter au texte, j’ai vraiment monté le texte de Racine.

Pour Hamlet (K.O.D.) [1], la situation m’intéressait aussi par rapport à ce qu’on vit et je voulais chercher comment moi, dans mon langage, je pouvais aborder cette pièce-là.

Vous cherchez donc à montrer que ces textes sont toujours d’actualité, que les situations existent encore aujourd’hui.

Oui et pour moi le fait de partir d’une écriture qui n’est plus du tellement la nôtre aujourd’hui sert à montrer que nous n’en sommes pas si loin dans notre rythme de langage. On peut donc chercher comment acquérir ce langage et cette manière de parler qui est très riche : rythmique, poétique et littéralité y sont très bruts par moments alors qu’aujourd’hui on parle d’une manière très neutralisée. J’avais envie de refaire parvenir le mot, le sens du mot et la percussif des sons.

Avez-vous été confrontée à des critiques émanant de fervents partisans du théâtre classique ?

On m’a reproché qu’il n’y avait pas de propos, que le propos était trop fragile et que mon travail était plutôt formel. Mais pour moi cela n’avait pas de sens car je ne parviens jamais à la forme sans passer par le fond.

Je n’ai jamais entendu des critiques sur le texte lui-même car dans mes spectacles, il n’y a pas beaucoup de texte, ce sont plutôt des acteurs qui bougent. Dès lors, il s’agissait de critiques sur le fond, sur le propos par les puristes du théâtre.

Isabella SoupartJe veux faire passer le sens dans tous les sens et pas uniquement dans le texte. Il ne faut pas seulement s’attacher au texte mais aussi à tous les autres éléments qui font les connexions et le sens.

Il y en a peut-être eu d’autres, mais je ne les ai pas entendues.

Quand vous mettez en scène, que vous chorégraphiez, le jeu vous manque-t-il ?

Le jeu me manque par moments mais c’est un choix. Je me suis vraiment dit que si je dirigeais des gens, je leur donnais tout ce que je pouvais ; donc je n’ai vraiment aucune frustration en tant qu’actrice. Et même vis-à-vis des femmes car c’est très difficile de donner tout ce qu’on peut à une actrice qui a le même âge. Je veux vraiment tout donner à l’acteur pour le faire grandir et puiser chez lui tout ce qu’il y a de plus fort, de meilleur et de plus beau.

J’ai envie de jouer, mais je m’y retrouve avec les films et d’autres projets que j’ai en tant qu’actrice. J’ai besoin de passer aussi par le jeu pour nourrir les acteurs avec lesquels je travaille.

Y a-t-il une discipline que vous préfèrez ?

Non, car même quand je dirige, j’ai besoin de passer par mon travail d’actrice pour donner certaines choses. Tout est entremêlé. Même dans le film des frères Dardenne dans le petit appartement, c’était un travail extrêmement physique car on était dans un petit espace. Mais je fais en sorte que ma nuque, mes épaules… deviennent un avec la voix. Je suis tout le temps à la recherche de connexion entre l’esprit et le corps ; même en dirigeant les autres.

J’aimerais d’ailleurs trouver un mot qui réunisse toutes ces notions, la danse, le jeu, la mise en scène et la chorégraphie car c’est une seule chose.

Qu’a représenté pour vous le fait d’être lauréate au Rolex Mentor and Protégé Arts Initiative ? (2006-2007)

C’est une reconnaissance mondiale ou internationale sur les cinq continents. Ils sont à la recherche de créateurs, d’une poésie, d’une manière nouvelle d’aborder la théâtralité. Ils s’intéressent aux personnes qui sont dans les nouvelles formes, les nouvelles recherches. Tout à coup ça m’est tombé dessus, on m’a demandé de présenter mon travail, tout ce que j’ai fait. Je crois qu’il y a vingt-cinq personnes dans le monde entier qui sont repérés et sur ces personnes il y a trois lauréats. Dans certains pays cela a beaucoup d’impact.

Cela amène une écoute de la part des autres quand on a été Lauréat. À un moment cela a amené un peu d’argent, j’ai fait un voyage à New York qui m’a permis de rencontrer des gens importants dans le cinéma (par exemple Julie Taylor, la réalisatrice du film FRIDA sur Frida Kahlo). J’ai aussi eu l’occasion d’aller jouer au Japon. Cela m’a mené à des rencontres.

Cela vous a-t-il aidé à exporter vos créations ?

Je ne suis pas fort au courant, mais il y a eu beaucoup de stimulation d’autres pays et comme tout ça reste très secret j’imagine que cela vient de Rolex. Il y a des choses que je ne peux pas savoir mais cela a sans doute amené une ouverture sur d’autres pays.

Que diriez-vous aux jeunes comédiens, danseurs, metteurs en scène, artistes en général qui veulent se lancer ? Et est-ce que vous croyez votre propre compagnie vous a aidée ?

Isabella Soupart

Oui mais il faut être très costaud, il faut se battre mais c’est très intéressant à expérimenter. Il faut le faire, il faut à tout prix rester authentique. Si on a quelque chose à dire, si on a envie de défendre quelque chose, il faut le faire et prendre tous les risques nécessaires et se battre pour le faire, sortir des sentiers battus, sortir du formatage et chercher, s’imprégner de tout ce que l’on vit, de l’actualité. Beaucoup lire, regarder les films, écouter beaucoup de musique pour essayer de sortir des conventions théâtrales car le texte n’est pas tout. S’ouvrir au maximum et essayer de créer des formes nouvelles, des choses qui permettent de découvrir.

Il faut y aller à fond, se battre, à un moment donné, si on a vraiment quelque chose à dire, ce sera entendu et ce sera vu, quelle que soit la façon dont c’est dit... C’est ce que je conseille à tous les mordus. Moi c’est comme ça que j’ai fonctionné.

Propos recueillis par Sophie Didier le 6 octobre 2007

À noter qu’un workshop sera bientôt donné par Isabella Soupart, vous trouverez les détails sur la page des stages

Notes

[1(Kiss Of Death)