Sur le plateau, délimité par un filet de lumières, un Chesterfield au milieu d’instruments de musique. Une fille en survêt discute avec les musiciens, semble se préparer à une épreuve sportive et puis attaque :
"Quand vous me voyez bourrée dès le matin, là à zoner, vous vous dites : "Pauv’ pouffiasse. Sale traînée. Mais savez quoi ? Ce soir, vous êtes tous là pour me rendre grâce. A moi."
Effie meuble son existence insipide par des cuites à répétition et des paradis artificiels. Tous les lundis, elle se jette dans l’alcool et la drogue. Au bout de trois jours, elle émerge de cette gueule de bois. Pour mieux recommencer. Une spirale infernale qui désespère sa grand-mère. Pour l’aider à s’en sortir, celle-ci lui laisse un peu d’argent. Effie fait mine de l’ignorer. Mais dès le départ de mémé, elle l’empoche. Indispensable pour les beuveries et la coke : elle n’a pas de boulot !
Kevin, son mec actuel, n’a pas inventé la poudre. En laissant son cabot chier partout sur le trottoir, ce blaireau oblige les passants à faire des slaloms. Mais c’est un joyeux compagnon de bringue et un baiseur infatigable. Un soir, dans un bar, elle l’envoie chercher des boissons, pour pouvoir se concentrer librement sur un type. Son visage la fascine, il semble l’ignorer. Quand ses copains s’écartent, elle constate que ses jambes ne sont pas normales. Cet ex-militaire invalide l’attire irrésistiblement. Elle l’embrasse avec fougue et partage avec lui une tendre nuit d’amour. En le quittant, elle se sent réconciliée avec la vie. Elle n’est plus seule ! Bonheur éphémère, car les désillusions vont s’accumuler...
D’emblée, Gwendoline Gauthier affiche la puissance vitale de cette battante. Sa gouaille, son langage cru, ses regards agressifs, ses attitudes insolentes traduisent débordement d’énergie et pugnacité rageuse. C’est avec beaucoup d’autodérision qu’elle se moque de la vanité de son existence. Cependant cette guerrière est fragilisée par le poids de la solitude. Croyant y échapper, elle est trahie par la lâcheté de son amant. Ses déboires ne l’enferment pas sur elle-même. Elle nous fait respirer la désolation d’un quartier, où tout est déglingué : usines désaffectées, maisons à l’abandon, parcs vides, commerces fermés. En l’accompagnant dans différents hôpitaux, on ressent la froideur de l’accueil, la paupérisation des services, la condamnation à souffrir d’un cruel isolement. Comme dans un film de Ken Loach, on mesure les dégâts du libéralisme thatchérien.
Nous sommes impressionnés par le punch, l’effervescence de la comédienne, mais aussi par sa maîtrise d’un témoignage, où se mêlent provocation et profondeur. Le soutien des trois musiciens qui l’encadrent est efficace. François Sauveur, Pierre Constant et Julien Lemonnier amorcent le spectacle, proposent des couleurs sonores reflétant le climat de certaines séquences et rendent exaltante l’image finale. Pour Georges Lini, la découverte de la pièce de Gary Owen a été un coup de foudre. Frappé par sa force, il s’appuie sur une mise en scène très sobre, qui fait appel à l’imagination, pour transmettre l’émotion de ce texte cinglant. A quoi servirait la projection d’images de zones sinistrées ?
"Iphigénie à Splott" évite tout misérabilisme. Pourtant Effie est une laissée-pour-compte, qui subit un véritable chemin de croix. Avoir encaissé ces douleurs la rend capable d’en protéger les autres. Elle est une gagnante. Son sacrifice lui rend sa dignité. Mais combien de temps faudra-t-il encore "encaisser" ?
3 Messages