Intérieur Voix - Reprise du spectacle créé il y a 5 ans au Rideau à partir de matériaux documentaires et d’archives personnelles de Delphine Salkin. Dans un autoportrait, Delphine, actrice, raconte son expérience de perte de voix et son long parcours vers la reconstruction de toute une vie.
Delphine Salkin, la perte de votre voix a duré 7 ans vous empêchant d’exercer votre métier d’actrice. Comment cela s’est-il produit ? Cela a commencé lors de représentations au Québec...
Delphine Salkin : J’étais en tournée avec un très beau rôle, celui d’Athéna dans « L’Orestie » d’Eschyle. Et je prenais aussi en charge le chœur. J’avais donc beaucoup de matière textuelle. Les premiers mots d’Athéna sont : « J’ai entendu de loin l’appel d’un cri ». Athéna qui est la déesse de la justice dans le monde grec, est aussi celle qui instaure le premier tribunal humain. Dans la pièce, elle dit qu’elle vient du père et non de la mère et qu’elle va sauver Oreste (qui a tué sa mère) en lui donnant un vrai procès pour qu’il ait une chance de ne pas être mis à mort. C’est donc son vote qui va le sauver et consacrer le premier tribunal humain soutenu par une déesse. Ce qui est étrange, c’est que ma voix a commencé à se « défiler » alors que je disais « Écoutez ma loi, citoyens de l’Attique qui êtes les juges du sang versé ». Dans le mot « loi », le son « oi » est plus difficile à émettre quand on a des problèmes de voix. Il est donc normal que ce soit sur ce mot que ma voix ait commencé à filer et aussi parce qu’il y avait une musique qui grimpait, et aussi parce que j’avais un corset hyper serré, et aussi j’étais enceinte ! Tout cela a fait que je ne me suis pas inquiétée au premier abord et puis j’ai pu immédiatement replacé ma voix.
Le lendemain (c’était la dernière) exactement au même endroit, ma voix a filé. C’est paniquant quand on a un rôle si fort dans lequel on est supposé avoir autant de pouvoirs.
Mais ma voix est revenue. On a pris l’avion... C’était l’époque des attentats du 11 septembre, nous étions sur un sol américain et nous avions vécu de manière très proche les attentats... Reprendre l’avion était impressionnant... Le contexte a donc fait que je suis tombée malade comme on peut l’être quand on souffre d’un refroidissement et que l’on devient aphone. Je n’ai donc pas fait le rapport avec Athéna. Je suis rentrée du Canada un peu choquée par les événements du 11 septembre, malade, fatiguée, aphone, enceinte... Mais la voix n’est jamais revenue. Après 6 mois et un accouchement, il y a eu un long périple médical. J’ai été prise en main par des spécialistes alors que je n’y connaissais rien. La durée habituelle des pertes de voix est de un an... Deux ans... Trois ans maximum, le temps de passer en chirurgie ou en rééducation avec un logopède.
Dans mon cas, il y a eu une première chirurgie qui ne m’a pas aidée et j’ai continué ce ballet de médecins dont les uns me disaient de voir un psy, les autres de pratiquer le chant, de travailler les résonateurs... C’est ce périple qui est raconté dans le spectacle non pour jouer les victimes mais pour partager cette absence, pour témoigner de la disparition sociale dans laquelle où se retrouve.
Dans mon cas, je ne pouvais plus exercer mon métier !
J’ai donc perdu d’un coup toutes mes activités : je faisais des courts métrages, de la radio, du doublage, je jouais au théâtre... C’est toute une vie qui disparait !
Et personne ne réalise vraiment. On vit dans une grande solitude.
Vu que ce n’est pas une maladie grave, les médecins ne prennent pas la mesure du problème. J’ai consommé énormément de cortisone et de médicaments divers...
Le spectacle est composé de matériaux divers, des extraits filmés, des diagnostics... Comme tout cela s’est-il agencé ?
Delphine Salkin : Isabelle Dumont a lu les textes que j’avais écrit alors que je n’avais pas encore retrouvé ma voix et c’est elle qui a trouvé intéressant d’en faire un spectacle avant ma deuxième opération. Le spectacle est donc né aussi de la retrouvaille avec la voix, de l’envie de partager une connaissance sur les résonateurs, sur un handicap qui n’est pas visible. Sans être muet, on est en état d’aphonie sévère mais en gros tout le monde s’en fiche. C’est vraiment Isabelle qui s’est emparée de tout cela. Je n’aurais jamais songé à en faire quelque chose d’artistique. J’étais dans les ténèbres de cette perte. Mais l’écriture est devenue ma liberté. J’avais l’impression de me réentendre dans l’écriture. J’ai aussi récupéré auprès du médecin qui me suivait l’ensemble de mon dossier, en vrac ! Ce bilan médical a été une matière incroyable avec des notes personnelles du médecin telles « Delphine se plaint encore », « Patiente en dépression, ...
Isabelle Dumont : Il s’agit d’un travail collectif où on a décidé de commun accord que Delphine ne parlerait pas et qu’elle nous délèguerait sa parole. Raymond Delepierre qui signe le son est sur le plateau, pas seulement pour faire du son mais en tant que porte-parole de Delphine. L’option étant de prendre son histoire de manière emblématique de la même façon que le personnage d’Athéna peut être une figure mythique. À travers une expérience singulière, on a voulu rendre compte de cet instrument qu’on a tous de manière tellement évidente : la voix.
Cette perte de voix, a-t-elle ouvert d’autres perspectives ?
Delphine Salkin : Ce qui est perdu est perdu. Sans voix, je n’avais aucun métier. J’ai travaillé dans l’édition, Mais même dans l’édition il faut téléphoner. J’avais aussi des enfants en bas âge que je n’ai jamais voulu sacrifier. Mais donner le change me demandait beaucoup d’efforts physiques. Ceux qui ont perdu la voix savent que dans l’effort on a mal au dos, au cou, parfois on a le hoquet parce qu’on ne peut plus respirer correctement. Dans le spectacle, on raconte ces phénomènes naturels, cette incroyable mécanique. Et ce n’est qu’en retrouvant la voix que j’ai pu trouver « ma voie » car j’ai retrouvé une énergie de dingue que je n’avais pas avant. Je suis dans une gourmandise des choses... La mise en scène est une forme d’écriture pour moi. Je ne dépends de personne (si ce n’est du producteur et d’argent), je n’attends pas qu’on m’appelle pour être en scène et me faire entendre.
La voix est liée à l’identité et à la personnalité. As-tu eu l’impression de perdre plus que ta voix ?
Delphine Salkin : On en parle dans le spectacle. La voix c’est l’identité humaine, c’est un sixième sens presque. La voix est unique comme les empreintes digitales. On essaye aujourd’hui de créer des voix artificielles mais on n’y arrive pas car les nuances et les aspérités de la voix sont impossibles à reproduire.
Cette voix que tu as retrouvée, est-elle différente, a-t-elle évolué ?
Delphine Salkin : Ma voix a changé, oui. Le timbre est le même mais elle est plus irrégulière qu’avant, avec quelque qui n’est pas fiable.
Aujourd’hui tu formes des acteurs...
Delphine Salkin : C’est la première chose que j’ai faite quand j’ai retrouvé la voix. J’ai voulu retrouver le théâtre par la transmission. J’ai été chargée de cours dans une école supérieure et au cours Florent à Paris. C’est pour moi une grande joie même si j’ai toujours ce petit inconfort vocal mais ma voix résiste très bien. J’ai donné énormément de cours l’année dernière. Car le théâtre est synonyme de liberté et offrir une liberté de soi, cela me touche particulièrement.
Crédit photos : Herman Sorgeloos
Propos recueillis par Palmina Di Meo
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